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Recension

Un ambassadeur russe à Paris. Mémoires

Alexandre Orlov (avec Renaud Girard)

Paris, Fayard, 2020, 268 p.

Des mémoires d’un diplomate, on n’attend pas la révélation de la vérité historique. On escompte simplement l’exposition d’un point de vue agrémenté d’anecdotes sur les coulisses du pouvoir. On a donc lu les mémoires d’Alexandre Orlov à l’affût d’informations permettant de mieux comprendre les relations euro-russes. Il y en a peu, mais quelques autres éléments méritent aussi d’être mentionnés.

L’ouvrage plonge d’abord le lecteur dans l’ethos soviétique d’un diplomate né juste après la guerre et formé au prestigieux institut de Relations internationales MGIMO. Pour cette génération, à peine plus âgée que le président Vladimir Poutine, l’URSS est auréolée de la victoire dans la grande guerre patriotique après une saignée sans précédent et le lancement de Spoutnik. L’entrée d’Orlov dans la diplomatie se déroule lors de la détente quand l’URSS est une puissance installée. Sous sa plume, se déploiera la vision relativement classique chez les Russes d’aujourd’hui : un regret de la trop rapide transformation de l’URSS et de l’échec réformiste de Gorbatchev, une critique acerbe de la kleptocratie eltsinienne et une vision assez positive de la restauration entamée par Poutine.

Francophone accompli, l’auteur passera la plus grande de sa carrière en France, à Paris ou à Strasbourg au Conseil de l’Europe. De 1971 à 2017, c’est surtout des relations franco-russes qu’il traitera. Et quand il était rappelé à Moscou, c’était encore pour s’occuper de l’Europe latine.

Orlov s’attarde sur l’exercice de la diplomatie multilatérale au Conseil de l’Europe quand, au début des années 2000, il y était le représentant permanent de la fédération de Russie. Il indique en particulier l’exercice nouveau que constitua pour la Russie l’insertion à partir de 1996 dans l’organisation paneuropéenne mais, et c’est une déception, il n’évoque pas les tensions issues de la question tchétchène et plus tard de la question ukrainienne.

C’est à travers le prisme français que surgissent quelques enseignements sur les relations entre l’UE et la Russie.

Orlov salue très positivement l’entremise du président Sarkozy dans la crise géorgienne, effectuée lorsque la France occupait la présidence tournante de l’UE lors du second semestre de 2008. Le plan en six points, endossée par l’UE par la suite, est considéré par l’Ambassadeur comme une œuvre utile, même si on sait que la Russie n’en a pas respecté tous les termes. Sur une question qui sera indirectement liée à l’UE après la crise ukrainienne, l’affaire des Mistral, il confirme certaines rumeurs. Orlov rappelle d’abord, à juste titre, le caractère singulier d’une commande de matériel militaire de la Russie à la France, en l’occurrence de quatre bâtiments navals de projection et de commandement, porte-hélicoptères. Les deux premiers devaient être construits en France, les deux suivants en Russie. L’ambassadeur considère que le choix de la France dans l’appel d’offre est dû à la bonne entente Sarkozy-Medvedev, l’offre française étant technologiquement à la pointe mais relativement chère par rapport à ses concurrents.

Orlov est nettement plus critique avec le président Hollande à qui il ne reconnaîtra guère de mérite, faisant l’impasse sur l’habileté de ce dernier à créer le format dit de Normandie pour tenter de résoudre la crise ukrainienne. On le sait, les deux premiers Mistral construits en France et prêts à être livrés à Moscou s’apparentèrent soudain à un chien dans le jeu de quilles des sanctions européennes décidées à l’encontre de la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée et aux événements en Ukraine de l’Est. Bien évidemment, aucune mesure coercitive européenne ne visait le matériel militaire à destination de Moscou et rien ne contraignait la France mais celle-ci était gênée aux entournures : livrer du matériel militaire français tout en ayant plaidé pour des sanctions européennes relevait de la douce schizophrénie. L’auteur apporte ici une précision intéressante. En juillet 2014, Vladimir Poutine manda Orlov pour indiquer au président français que la Russie était prête à renoncer aux BPC Vladivostok et Sébastopol, moyennant remboursement. Hollande pourtant signifia dans un premier temps que la France allait honorer son engagement avant de se rétracter mi-décembre au motif que les accords de Minsk 1 n’étaient pas appliqués. Les apparences étaient sauves pour la France au sein de l’UE, la Russie s’en sortait avec une indemnité, et les deux pays purent s’entendre et vendre à l’Egypte qui les BPC, qui des hélicoptères.

L’ouvrage est par ailleurs instructif sur bien des éléments d’une diplomatie culturelle entre la France et la Russie et montre bien la plasticité d’un diplomate formé en URSS, officiellement athée, mais qui considère que sa plus grande réalisation fut de faciliter la construction à Paris d’une grande église orthodoxe.

Tanguy de Wilde

 

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