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Interview L. Spetschinsky, RTBF (Sandro Calderon), 29 février 2024

Dans son traditionnel discours à la Nation, ce jeudi 29 février, le président russe Vladimir Poutine a brandi une nouvelle fois la menace nucléaire contre les Occidentaux. Mais, à l’approche de l’élection présidentielle russe, le « candidat » Poutine ne s’est pas attardé sur la guerre en Ukraine. Il a voulu avant tout rassurer les électeurs en leur faisant de très nombreuses promesses.

Poutine, le chef de guerre

Du 15 au 17 mars prochains, les Russes se rendront aux urnes pour se choisir un nouveau président. Il ne fait aucun doute que Vladimir Poutine sera réélu. Qu’à cela ne tienne!, l’homme fort de la Russie est en campagne et il a tenu aujourd’hui à défendre son bilan et présenter son programme pour les six prochaines années.

Face à l’élite politique du pays réunie à Moscou, le chef du Kremlin a d’abord salué l’avancée de ses troupes en Ukraine. « Les capacités militaires des forces armées ont été multipliées. Elles avancent avec assurance dans plusieurs directions » du front, a-t-il souligné. Dans un exercice quasi obligé, qui se répète de discours en discours, Vladimir Poutine s’en est pris aux pays qui soutiennent l’Ukraine. « Le soi-disant Occident, avec ses tendances colonialistes, s’efforce non seulement de contenir notre développement, mais il a l’intention de nous détruire et d’utiliser notre espace à ses propres fins, y compris pour l’Ukraine », a dénoncé le président russe.

Sans le nommer ouvertement, il a répondu au président français Emmanuel Macron qui, en début de semaine, n’excluait pas l’envoi de troupes en Ukraine. Les Occidentaux « ont parlé de la possibilité d’envoyer en Ukraine des contingents militaires. […] Ils se préparent à frapper notre territoire et à utiliser les meilleures forces possibles, les plus efficaces, pour y parvenir », a affirmé le président russe, avant de se faire menaçant. « Nous nous souvenons du sort qu’ont subi ceux qui ont déjà envoyé leurs contingents sur le territoire de notre pays. Mais aujourd’hui, les conséquences pour les éventuelles interventions seront bien plus tragiques. Ils doivent comprendre que nous avons aussi des armes. Des armes qui peuvent les vaincre sur leur propre territoire et, bien sûr, tout cela est très dangereux car cela pourrait déclencher l’utilisation d’armes nucléaires. Ne comprennent-ils pas cela ? »

Cette menace, qui vise à dissuader les Occidentaux d’aider l’Ukraine, ne surprend pas particulièrement Laetitia Spetschinsky, chercheure à l’UCLouvain, spécialiste de la Russie.

« La menace est gravissime. Cependant, elle n’a rien de nouveau. Il fait référence aux missiles intercontinentaux dont il a déjà parlé l’année passée et l’année précédente encore. Ça fait cinq, six ans que la menace est brandie. Ce qui est vrai, c’est que, depuis l’année dernière, ces missiles sont prêts au combat. Mais je n’ai pas détecté d’éléments vraiment nouveaux dans ce discours. Surtout, c’est une partie du discours qu’il a balayé assez rapidement. Les menaces de l’Occident et la capacité de la Russie à y répondre sont un passage obligé. Il a l’air lui-même assez ennuyé de devoir reprendre ce thème.« 

Laetitia Spetschinsky préfère s’arrêter sur un autre passage du discours où elle croit détecter une réponse, discrète mais évidente, de Vladimir Poutine aux séparatistes pro-russes de la région moldave de Transnistrie qui ont demandé hier la protection de la Russie.

« Il y a un moment où Vladimir Poutine fait référence à des primes et des salaires mirobolants qui vont être offerts aux instituteurs et aux agents du secteur culturel qui s’engagent à aller travailler dans les régions reculées de Russie. Il évoque d’abord trois régions. Puis dans une deuxième formulation, il cite le Donbass, l’Arctique, l’Extrême-Orient et la Novorossia, une région qui a existé du temps de Catherine II (au 18e siècle, ndlr) et qui s’étendait du Donbass en Ukraine jusqu’à la Transnistrie en Moldavie. Il le dit très rapidement mais c’est énorme comme annonce. Clairement, je ne pense pas que Vladimir Poutine ait cité la Novorossia par erreur ou par hasard. Cela doit donner une indication évidente des buts de guerre russes dans l’année à venir.« 

La demande de protection des séparatistes de Transnistrie fait penser à la rhétorique des séparatistes pro-russes du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, dont Vladimir Poutine avait reconnu l’indépendance le 21 février 2022, trois jours avant d’envahir l’Ukraine.

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