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Recension

Le ‘virus français’ à Moscou ? La législation russe de la mémoire historique 

Koposov, Nikolay

Parlement[s], Revue d’histoire politiquevol. hs 15, no. 3, 2020, pp. 21-43.

Les questions de mémoire n’en finissent pas d’agiter les nations d’Europe de l’est. La crise ukrainienne a ravivé le débat mémoriel de manière particulièrement violente. Elle a relancé le débat sur la co-responsabilité de l’URSS dans le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. Ceci n’a pas manqué de causer l’ire de Moscou dont l’identité historique est justement construire sur la lutte contre le nazisme. C’est dans ce contexte que Nikolay Koposov, chercheur à l’université Emory aux Etats-Unis, s’intéresse à la législation mémorielle russe dans son article : le « virus français » à Moscou ? La législation russe de la mémoire historique.

Si le lecteur regrettera éventuellement l’absence d’une véritable comparaison entre les législations françaises et russes, comme le propose discrètement le titre, l’article retrace le travail législatif de mémoire en Russie depuis la fin des années 80. On y apprend que les premières avancées mémorielles ont été proposées par les communistes, dénonçant notamment les déportations des peuples sous Staline. C’est durant la lutte entre les démocrates et la difficile alliance des communistes et des nationalistes que les premiers, inspirés par la loi Gayssot en France, ont tenté sans succès de criminaliser la négation des crimes des régimes totalitaires.

L’accession de Vladimir à la présidence russe en 2000 consacre le passage à une politique de mémoire plus nationaliste et l’avènement de la Grande Guerre Patriotique comme mythe fondateur de la société russe qui justifie les ambitions de Moscou sur la région. Dans ce contexte, s’opposer à la Russie, victorieuse du fascisme, revient à être soi-même fasciste. Selon Nikolay Koposov, cette politique couplée à une forme de réhabilitation de Joseph Staline a déclenché la réaction épidermique des pays d’Europe de l’est, Lituanie, Pologne et Ukraine en tête. Lois mémorielles, instituts de mémoire nationale et criminalisation du négationnisme constituent l’arsenal des anciens satellites pour désigner l’ex-URSS comme le responsable de leurs maux. En Europe de l’Est, indépendance et nationalisme marchent main dans la main. En déployant leur roman national, les pays post-communistes réhabilitent des figures controversées telles que Stepan Bandera, chef de l’Organisation des nationalistes ukrainiens, qui pour promouvoir l’autonomie de sa nation, a collaboré avec l’envahisseur nazi.

A leur tour, ces politiques mémorielles ont déclenché la colère du Kremlin qui dénonce résolument ce qui est considéré comme une réhabilitation du nazisme. Par conséquent, a émergé ce que Koposov appelle la « pénalisation national-populiste » du passé. La loi Yarovaya de 2014 en constitue l’exemple le plus flagrant et s’inscrit directement dans le contexte de la crise ukrainienne. Celle-ci criminalise la négation des conclusions de Nuremberg et punit la diffusion de fausses informations sur l’URSS durant le conflit mondial. Selon l’auteur, cette loi est unique en son genre en ce qu’elle «  protège la mémoire d’un régime oppressif plutôt que celle des victimes des crimes contre l’humanité » et consacre la posture isolée de la Russie dans le domaine mémoriel.

En filigrane de l’article, se détache peut-être l’apport le plus intéressant de Nikolay Koposov. Tant la Russie que ses anciens subordonnés promeuvent un discours qui cantonne l’Holocauste à une place périphérique. Occupés à défendre leurs romans nationaux, ils se déchargent de toute responsabilité quant aux exactions commises par les deux grands totalitarismes. Ils créent ainsi chacun des visions du passé de moins en moins conciliables, ce qui n’augure rien de bon pour le futur.

@Victor d’Anethan

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