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En bref

Les tribulations du Haut représentant à Moscou et les réactions courroucées au Parlement européen

Le séjour de Josep Borrell à Moscou du 4 au 6 février 2021 a attiré comme rarement l’attention médiatique. Il faut dire que le contexte était difficile et la tentative de dialogue risquée, le dynamisme des relations UE-Russie frôlant l’électroencéphalogramme plat. Mais faut-il pour autant rallier le cœur des pleureuses et évoquer avec la majorité du Parlement européen une humiliation ou un fiasco ? En réalité, la réaction courroucée des parlementaires en dit plus long sur la différence d’approche de l’action extérieure entre le parlement et les autres institutions de l’UE que sur les tribulations de J. Borrell à Moscou.

A l’analyse, il y a presque un partage des rôles entre un Parlement s’arrogeant la fonction tribunicienne critique et un Haut représentant incarnant une forme de diplomatie définie comme un ligne permanente de contact avec l’étranger. Le Haut représentant avait pourtant indiqué clairement l’exercice délicat que constitue une diplomatie d’ouverture au dialogue. Ce dernier, disait-il, est d’autant plus nécessaire quand les relations sont au plus bas. Ce qui compte en la matière, c’est d’essayer, non de réussir, à la manière de Guillaume le taciturne selon la devise duquel « point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Et la réussite effectivement ne fut pas au rendez-vous puisque la Russie semble camper sur ses positions, avec des actes (l’expulsion de diplomates issus de pays membres de l’UE) et des menaces (la rupture des relations) peu amènes. Josep Borrell sait désormais à quoi s’en tenir et peut rendre compte au Conseil Affaires étrangères de tout ce que le contact direct lui aura permis d’apprendre, que ces informations aient été révélées ou non au lendemain de sa visite.

Le Parlement européen, à coup de résolutions, s’écarte assez bien de la politique à tenir à l’égard de la Russie définie par le Conseil en ses conclusions du 14 mars 2016. Celles-ci peuvent se résumer à cinq éléments d’une action à mener vis-à-vis de la Russie, au-delà des mesures coercitives décidées à partir de 2014 : l’application des accords de Minsk pour stabiliser la situation en Ukraine ; une stratégie autonome de l’UE dans l’espace ex-soviétique ; une résilience face à toute menace hybride qui viendrait de Moscou ; une coopération sur des sujets d’intérêt communs ; une attention portée à la société civile russe.

En allant à Moscou, Josep Borrell n’a contrevenu à aucun de ces principes. Si l’on examine maintenant les résolutions du Parlement européen, en particulier celles du 17 septembre 2020 (après l’empoisonnement d’ A.Navalny) et du 21 janvier 2021 (après son arrestation), on observe un ton et des recommandations portant beaucoup plus à la confrontation. Dès septembre 2020, le Parlement demandait une extension des sanctions à l’égard de Moscou, ce à quoi le Conseil procéda de manière ciblée à la mi-octobre. Mais déjà à ce moment-là pointait l’exigence des parlementaires de voir le projet Nord Stream 2 abandonné et la demande d’une stratégie consistant à soutenir des forces démocratiques opposées au pouvoir en place. En janvier, l’accentuation était perceptible, demandant des mesures coercitives additionnelles étendues aux oligarques du régime russe ainsi qu’un appel général à revoir toute coopération avec la Russie d’un œil critique. En bref, la majeure partie de ces résolutions énonçait un cahier de doléances très en phase avec la mission civilisatrice de l’Union mais peu compatible avec l’exercice d’une diplomatie complexe, même réduite à la quête sélective d’une coopération sur des sujets d’intérêt commun. En réclamant la démission de Josep Borrell, 81 parlementaires européens emmenés par le député estonien Riho Terras (PPE) ont peut-être inconsciemment voulu supprimer un messager qui n’était pas leur porte-voix.

@Tanguy de Wilde

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