Le site de la Chaire d’études Europe-Russie de l’UCLouvain

Lutte contre l’impunité dans la guerre en Ukraine.
Que veut, et que fait l’UE ?

par Thomas Caulier, chercheur, UCLouvain

Thomas Caulier est juriste de formation (UCLouvain), ancien stagiaire Bernheim aux Affaires étrangères et ancien assistant de recherche et d’enseignement en Relations internationales à l’UCLouvain. En août 2023, il a rejoint la carrière diplomatique belge

Dans la guerre déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la bataille se mène sur tous les fronts – y compris sur le front judiciaire. Outre les enquêtes menées par la justice ukrainienne, trois procédures ont été introduites devant la Cour internationale de justice (CIJ), et de nombreuses violations des droits humains ont été portées devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dès le 2 mars 2022, Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), annonce l’ouverture une enquête sur de possibles « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », après avoir reçu le feu vert de 39 états.
Les procédures judiciaires ne sont néanmoins pas l’apanage des juridictions supranationales. Les juridictions pénales de quatorze États membres de l’UE ont entamé des enquêtes distinctes reposant sur la compétence personnelle ou universelle.

Malgré le déploiement de cet impressionnant arsenal judiciaire, l’idée de la création d’un tribunal spécial est rapidement mise sur la table. D’abord cantonnée à la sphère d’experts tel que l’éminent juriste Philippe Sands , l’idée est progressivement reprise par le gouvernement ukrainien. Dans un courrier datant du 13 mai 2022, le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, réclame officiellement le soutien des pays du G7 et du Conseil de l’Europe pour la création d’un tribunal spécial chargé de juger du « crime d’agression » fomenté par le pouvoir russe.3 Un mois plus tard, l’idée est portée avec force par le président Zelensky à l’occasion d’une conférence internationale sur les crimes commis en Ukraine organisée à La Haye par la CPI, les Pays-Bas ainsi que la Commission européenne. V. Zelensky agite le spectre de l’impunité. « Les institutions judiciaires actuelles ne peuvent traduire en justice tous les coupables. En conséquence, il faut un tribunal spécial pour juger les crimes de l’agression russe contre l’Ukraine », explique-t-il dans une vidéo diffusée lors la conférence.
Issues du droit international coutumier et ancrées dans la jurisprudence de la CIJ, l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité des chefs d’État et de certains hauts responsables gouvernementaux pour les actes commis durant leur mandat privent les tribunaux domestiques de toute compétence juridictionnelle. La CIJ ne traite que de contentieux entre États membres. La CPI, quant à elle, voit son pouvoir juridictionnel sévèrement contraint par la non-ratification du Statut de Rome et du Protocole de Kampala par la Russie. Cela a deux implications : (i) la CPI ne dispose d’aucune compétence sur le territoire russe et (ii) son pouvoir juridictionnel est tributaire de la coopération des États parties au Statut – lesquels sont tenus de respecter l’immunité et l’inviolabilité des chef d’États étrangers.

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