Le site de la Chaire d’études Europe-Russie de l’UCLouvain

L’oeil du cyclone

Revue de l’actualité euro-russe, janvier-février 2023
✍? prof. Laetitia Spetschinsky, UCLouvain
avec la collaboration de Thomas Caulier 

Introduction

Les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, ainsi que les membres du collège des commissaires, se sont rendus à Kiev les jeudi 2 et vendredi 3 février pour une réunion avec le gouvernement ukrainien, suivie du 24e sommet UE-Ukraine. Outre le symbole de solidarité exprimé, la réunion a eu pour but de marquer le soutien européen face à l’agression russe (notamment dans le domaine militaire) et d’aborder l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, l’affectation de l’aide humanitaire ; les réfugiés ukrainiens ; et la mise en œuvre de l’accord d’association (y compris l’accord de libre-échange) .

Le Conseil européen du 9 février pouvait donc tabler sur un message politique relativement balisé, malgré quelques dossiers épineux : une offensive estonienne sur deux fronts (la confiscation des avoirs gelés et l’achat groupé de matériel militaire) et la nécessité de dégager les contours d’un dixième paquet de sanctions à adopter au plus tard pour le premier anniversaire du déclenchement de la guerre. Le Conseil européen fut aussi l’occasion de recueillir les demandes du président Zelensky, présent physiquement pour la première fois parmi les chefs d’État et de gouvernement européens après des rencontres bilatérales à Londres et à Paris. 

Au niveau international, les premiers mois de 2023 semblent ouvrir l’ère de la recomposition du monde. La conférence de sécurité de Munich, du 17 au 19 février, s’est déroulée en l’absence notable de délégués russes, iraniens, chinois ou indiens. Dans cette configuration, la réunion munichoise se limite désormais à un club occidental (parsemé de quelques hautes personnalités moyen-orientales) où le soutien à l’Ukraine est sur toutes les lèvres, mais où le débat se situe essentiellement au sein du « global West », pour une large part sur la manière d’accentuer la pression sur Moscou et l’aide à Kiev.

À l’autre bout du spectre géopolitique, le discours de Vladimir Poutine, le 21 février, débute sur l’antienne de la décadence morale de l’Occident puis enchaîne sur la vitalité économique de la Russie, la suspension de l’accord sur la réduction des armements stratégiques (START), la nécessaire solidarité nationale et l’inévitable succès de l’opération militaire spéciale. On soulignera un élément de discours caractéristique du recentrage politique russe dans le message que le chef de l’État adresse aux entrepreneurs qui avaient, par le passé, fait le choix d’investir à l’Ouest, « d’y paresser et d’y parader » : ceux-là doivent avoir compris qu’il s’agissait d’une idée sans avenir. À ces hommes d’affaires, Poutine propose d’investir massivement dans leur propre pays, ses infrastructures, son éducation. « Lancez de nouveaux projets, gagnez de l’argent, travaillez dur pour la Russie, investissez dans les entreprises et les emplois, et aidez les écoles et les universités, la science et les soins de santé, la culture et les sports. De cette façon, vous augmenterez votre richesse et gagnerez également le respect et la gratitude du peuple pour une génération à venir. L’État et la société vous soutiendront certainement ».

On peut toutefois se demander si la logique de l’État, dominée par des considérations d’utilitarisme patriotique, est en phase avec la logique des investisseurs qui repose avant tout sur la confiance dans le marché, en l’occurrence le marché national. Quoi qu’il en soit, cet appel du chef de l’État en guerre indique qui seront les prochains grands gagnants de l’oligarchie russe.

Enfin, sur le plan diplomatique, il convient de noter le plan de paix chinois en 12 points qui apparaît davantage comme un ballon d’essai, à mi-chemin entre une profession de foi et la validation d’un statu quo. Salué avec grâce par Poutine (bien que sans conviction), le plan de paix est rejeté par les Occidentaux. Ceux-ci saluent certes l’appel au dialogue, au respect de l’intégrité territoriale des États et à la retenue nucléaire, mais ne peuvent approuver l’idée d’un retrait des sanctions sans évoquer celui des forces armées russes du territoire ukrainien. Pour J. Borrell, la proposition chinoise n’est pas « un plan de paix », mais un « document de synthèse » qui doit être opérationnalisé. La porte-parole du Service européen d’action extérieure, Nabila Massrali, a également regretté que le document « brouille les rôles de l’agresseur et de l’agressé ».

 

Au sommaire

Introduction

1    La coercition à l’encontre de la Russie

1.1     Sanctions, paquet #10
1.2     Les sanctions sont-elles efficaces ?
1.3     La mise en œuvre des sanctions au sein de l’UE
1.4     L’alignement international sur les sanctions occidentales

2    La résilience européenne – le défi de l’unité

2.1     Sécurité énergétique
2.2     La crainte de nouvelles menaces hybrides aux frontières orientales
2.3     Le rapprochement OTAN-UE

3    Le soutien à l’Ukraine

3.1     L’aide militaire
3.2     L’aide économique et humanitaire
3.3     Le soutien judiciaire
3.4     Adhésion de l’Ukraine à l’UE
3.5     Coopération économique et assistance macrofinancière

4    Dans le reste de l’actualité

4.1     Biélorussie
4.2     Moldavie
4.3     Caucase
4.4     La neutralité militaire autrichienne, réaffirmée
4.5     Parutions à signaler

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