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La promesse faite à Gorbatchev de ne pas élargir l’OTAN

Cela fait des années que revient une affirmation selon laquelle en s’élargissant à l’Est, l’OTAN n’aurait pas respecté une promesse faite à M. Gorbatchev à la fin de la guerre froide. Pour ne prendre qu’un seul exemple récent, on peut citer le « sage centenaire » Edgar Morin qui dans un entretien au journal Le Soir du 7 mars 2022 déclarait : « Il faut tout de même rappeler qu’à la chute de l’URSS, les Américains ont promis à Gorbatchev qu’ils n’élargiraient pas l’OTAN vers l’Est mais que, par la suite, ils l’ont fait ».

Il importe donc de décrypter cette affirmation en se posant quelques questions : y a-t-il eu une promesse ? Quand aurait-elle été formulée ? Par qui et en quelle qualité ? Avec quelle signification précise ?

Premier constat, oui, il y a eu la formulation d’une promesse, personne n’en conteste l’existence. Cette promesse a bien été formulée par les Américains à M. Gorbatchev mais il y a généralement, comme dans le chef d’Edgar Morin ci-dessus et de bien d’autres, une erreur concernant la date de cette promesse et c’est fondamental pour en comprendre la portée. La promesse a eu lieu en février 1990 et s’inscrivait dans les discussions relatives à l’unification allemande. Le mur de Berlin était tombé quelques semaines plus tôt, mais l’URSS était encore loin de s’effondrer et le Pacte de Varsovie existait encore, l’alliance militaire regroupant Moscou et ses anciens Etats satellites. Ce qui était en jeu alors, c’était le positionnement de l’Allemagne unifiée en Europe : neutre et hors de toute alliance ou à l’intérieur de l’OTAN ? James Baker, le secrétaire d’Etat américain, plaide alors devant les Soviétiques pour la présence de l’Allemagne unifiée dans l’OTAN, vue comme une garantie d’encadrement contre la résurgence de tout aventurisme militaire allemand après l’unification. Et dans l’hypothèse du maintien de l’Allemagne dans l’OTAN, James Baker indique que l’OTAN ne s’étendra pas à l’Est … dans l’Allemagne unifiée, à savoir en ex-RDA, permettant ainsi aux Soviétiques d’évacuer leurs troupes qui y étaient présentes. Et cette promesse a été tenue quant à la suite de la rencontre Kohl-Gorbatchev à Stavropol en juillet 1990, le principe du libre choix de l’Allemagne unifiée de ses alliances sera acquis : les Soviétiques auront quatre ans pour rapatrier leurs soldats de RDA et le territoire de la RDA ne servira pas de zone d’extension pour les forces de l’OTAN.

Précise, spatio-temporellement située, la promesse a par la suite été interprétée de manière extensive par les Soviétiques, redevenus Russes, et par M. Gorbatchev lui-même : la non-extension de l’OTAN à l’Est en l’Allemagne induisait une non-extension à tout Etat d’Europe centrale et orientale. Une sorte de raisonnement a fortiori : qui indiquait ne pas aller à l’Est en Allemagne n’irait pas non plus à l’Est au-delà de l’Allemagne. Mais comment James Baker aurait-il pu promettre ce qu’il était alors bien en peine d’envisager : des Etats d’Europe centrale et orientale qui demanderaient l’adhésion à l’OTAN et, encore moins pensable, des républiques de l’URSS devenues indépendantes qui en feraient de même. Vu l’existence du Pacte de Varsovie et de l’URSS en février 1990, il est donc impossible d’imaginer un élargissement de l’OTAN à la Pologne ou aux pays baltes, par exemple. Enfin, ce que James Baker ne sait pas encore c’est que l’OTAN va faire évoluer ses missions : outre la défense collective, l’OTAN va développer des mécanismes de sécurité coopérative, précisément pour créer des structures de dialogue avec les anciens ennemis du Pacte de Varsovie qui ne sera dissous, lui, qu’au milieu de l’année 1991. Ces structures se nommeront Conseil de coopération Nord-Atlantique, Partenariat pour la Paix, Conseil permanent euro-Atlantique. Et dans ce contexte, l’OTAN ne va pas a priori essayer de s’élargir, son principal souci étant de faire évoluer ses tâches et de développer des opérations de gestion de crise pour apaiser les Balkans en feu dans la première moitié de la décennie nonante. Mais le paradoxe, c’est que les Etats d’Europe centrale et orientale, eux, voudront bénéficier de la fonction originelle de l’OTAN, la défense collective, et demanderont leur adhésion en arguant des abandons historiques à compenser : la Pologne et les pays baltes dépecés lors du pacte germano-soviétique, la Tchécoslovaquie et les deux composantes qui en résulteront en invoquant leur sacrifice lors des accords de Munich ou encore la Hongrie en rappelant l’insurrection de Budapest en 1956. Néanmoins avant chaque élargissement important, l’OTAN veillera à affiner la coopération avec la Russie en instituant un Acte fondateur des relations OTAN-Russie en 1997 (avant l’élargissement de 1999) et un Conseil OTAN-Russie en 2002 (avant l’élargissement de 2004). Il n’en reste plus qu’un souvenir aujourd’hui.

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