Le site de la Chaire d’études Europe-Russie de l’UCLouvain

Sur la question du crime d’agression, voir les travaux de Philippe Sands, « Putin’s use of military force is a crime of aggression », Financial Times, 28 février 2022 ou son interview dans le Guardian, le 31 mars 2022, intitulée « ‘It’s a slam dunk’: Philippe Sands on the case against Putin for the crime of aggression »; « Holding Russia to account for war crimes », Financial Times, 4 mars 2022 ; ou encore le débat initiatique de Chatham House, A criminal tribunal for aggression in Ukraine, 4 mars 2022.

Les massacres perpétrés dans la région de Kiev, révélés le 1er avril à la faveur du désengagement russe, ont déclenché des réponses fermes de la part de l’UE à divers niveaux : au niveau de la coercition économique, au niveau de la lutte contre l’impunité, au niveau du soutien à l’Ukraine, mais également, dans une vision plus globale, au niveau de la résilience de l’Union. Le mois d’avril apparaît rétrospectivement comme un mois de transition entre deux trains de sanctions : celui du 8 avril, qui amorce l’offensive européenne sur les énergies, et celui de début mai, qui vise le cœur – mais pas encore l’écosystème – de la rente pétrolière russe.

1. Les pressions sur la Russie

1.1. Le cinquième paquet de sanctions (8 avril)

Le cinquième paquet de sanctions a été adopté le 8 avril et publié le même jour au Journal officiel. Il inclut une série de mesures complémentaires aux paquets précédents ainsi que plusieurs innovations qui marquent un tournant, notamment :

  1. L’interdiction d’importation de charbon russe à partir d’août 2022.
  2. L’interdiction totale de transactions visant quatre grandes banques, sans encore toucher à la Sberbank qui représente à elle seule plus de 30% du secteur bancaire russe.
  3. L’interdiction d’accès aux ports de l’UE aux navires russes. La Commission et certains EM souhaitaient interdire tous les navires impliquant des intérêts russes, mais face au refus de la Grèce, de Malte et de Chypre, seuls les navires battant pavillon russe sont privés d’accès aux ports européens. En outre, la sanction prévoit certaines dérogations pour les produits agricoles et alimentaires, l’aide humanitaire et l’énergie. Ces dérogations sont essentielles pour éviter d’accentuer la crise alimentaire qui s’annonce ( infra). Par ailleurs, le paquet de sanctions interdit désormais l’accès à l’UE aux transporteurs routiers russes et biélorusses.
  4. Un embargo sectoriel sur les exportations de technologies ciblées telles qu’ordinateurs quantiques et semi-conducteurs, mais, surtout, sur les équipements utilisés pour la production de gaz liquéfié. Selon le quotidien russe Kommersant (11 avril), « cette décision met fin aux plans de la Russie de devenir l’un des plus grands producteurs de GNL au monde, puisque les équipements-clef pour la liquéfaction à gros tonnage ne sont produits que dans les pays « inamicaux ». La mise en œuvre des projets de Novatek et Gazprom ‘Arctic LNG-2’ et ‘Baltic LNG’ déjà en construction est en péril, puisque l’interdiction s’applique également aux contrats conclus et payés ». Une mesure cinglante pour l’État russe, mais aussi pour le Français TotalEnergies forçé d’amorcer « le début d’un repli » en raison de sa participation décisive au megaprojet Arctic LNG 2 (et au capital de Novatek).
  5. Une interdiction de participation d’entreprises russes aux marchés publics d’États membres et exclusion de tout soutien financier aux organismes publics russes.

Ce paquet amorce le virage de l’UE vers une coercition plus importante dans le domaine des matières premières, et en particulier dans celui des hydrocarbures.

1.2. Le début de la fin du gaz russe en Europe

Dans le dossier des hydrocarbures, le mois d’avril s’est ouvert sur deux événements historiques relatifs au commerce du gaz.

Le 1er avril, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie ont officiellement cessé d’importer du gaz naturel de Russie. Ce même jour, le décret présidentiel russe imposant le payement des factures de gaz en roubles, édicté la veille, est entré en vigueur.

Pour Moscou, la manœuvre entraîne d’importants bénéfices économiques et politiques.

D’abord, ce décret fait immédiatement monter la température entre les capitales européennes. Certes, tous les États membres s’accordent sur le fait que le décret russe modifie, voire rompt les termes de contrat. Au sein de l’UE, seules la Hongrie et la Slovaquie ont fait savoir qu’elles acceptaient le payement en roubles, ce que la présidente de la Commission a immédiatement (8 avril) dénoncé comme une violation des sanctions européennes. Les autres capitales refusent de se plier au diktat russe, mais l’incertitude continue pourtant de planer sur la question de la légalité de la manœuvre : a priori, tant que le gaz et la banque en question ne sont pas visés par les mesures européennes, le payement des factures de gaz auprès de Gazprombank ne constitue pas une violation des sanctions existantes. En revanche, l’implication de la banque centrale russe contredit, elle, les sanctions européennes, tout comme le prêt qui résulte de facto du dépôt des devises sur le compte de la banque russe. Les nuances sont donc excessivement subtiles, et le mois d’avril est largement dominé par la controverse juridique sur la zone grise entre légalité et illégalité dans ce dossier politiquement sensible.

En effet, et c’est indubitablement le deuxième objectif du Kremlin, le décret permet de remettre la banque centrale et d’autres banques russes au centre du jeu en forçant les opérateurs européens à faire des dépôts en euros et en dollars en attendant la conversion en roubles qui, seule, valide le payement.

Enfin, dans la ligne de ce qui précède, le délai entre le payement en devises étrangères et la conversion en roubles dépend de la célérité de la banque qui les reçoit, à savoir Gazprombank. Or, l’intervalle de temps entre le payement des devises et leur conversion en roubles offre aux autorités russes l’équivalent fonctionnel d’un prêt.

Pour l’UE, le décret rajoute un élément de complexité juridique à la difficulté politique et économique de sortir de la dépendance aux hydrocarbures russes.

La tentation est donc assez forte, pour l’UE, de sortir de l’ornière des demi-mesures pour avancer de manière plus décisive sur le dossier des approvisionnements.

1.3. L’interruption des livraisons de gaz russe à la Pologne et à la Bulgarie

Le 26 avril, la Pologne a annoncé qu’elle refuserait de se soumettre au schéma bancaire russe. De même, la Bulgarie a annoncé son intention de ne pas renouveler le contrat d’approvisionnement via Turkstream qui arrive à échéance fin 2022, ainsi que son refus de payer les contrats en roubles, arguant du risque qu’il y aurait à déposer l’argent du contribuable sur un compte russe sans avoir de garanties sur les livraisons effectives de gaz (dans l’hypothèse d’un délai long pour la conversion, ou simplement d’un arrêt des livraisons).

En réaction, Gazprom a informé les deux capitales que les livraisons de gaz seraient suspendues le 27 avril. Pour la Pologne, déjà largement déconnectée du fournisseur russe, et qui s’était préparée à ce désengagement, l’impact de la mesure est relativement marginal. Pour la Bulgarie, en revanche, la rupture fait l’effet d’un choc et impose des mesures de première urgence.

1.4. La préparation du 6ème paquet de sanctions

L’intensification du conflit et l’exacerbation des tensions avec l’UE convergent pour accélérer le virage des 27 vers ce qui s’annonce, dès fin avril, comme un 6ème paquet de sanctions prêt à viser les secteurs décisifs du pétrole et du gaz. 

  • Pétrole

Après des mois de résistance, l’Allemagne semble s’approcher d’une décision sur l’arrêt des importations de pétrole russe.

Aux bémols envisagés au départ (fin des importations de pétrole par tankers mais pas par pipeline, sanctions variables sur les divers degrés de raffinage pétrolier, etc.) s’ajoute l’idée de sanctions dites « intelligentes ». Celles-ci partent du constat que la Russie ne pourra pas substituer rapidement les marchés asiatiques aux marchés européens (voir à ce sujet les explications de Politico, 26 avril) – question de capacité de transport et de gestion des stocks. Prenant acte de cette vulnérabilité, l’UE propose donc de procéder en deux temps. Premièrement, il s’agirait d’annoncer un embargo total sur le pétrole russe, avec des sanctions secondaires pour ceux qui seraient tentés de contourner le système. Deuxièmement, des dispositions spécifiques autoriseraient la Russie à se débarrasser de ses stocks en les exportant au prix du marché, mais en ne percevant qu’une partie du produit de la vente, à hauteur des coûts de production russes. Le reste serait versé dans un fonds spécial destiné à la reconstruction de l’Ukraine.

  • Gaz

La perspective d’une diminution drastique, voire d’une disparition complète du gaz russe des turbines européennes force les opérateurs à appliquer en urgence des plans qui étaient envisagé à plus long terme. Ce basculement s’appuie sur le développement rapide de l’approvisionnement en GNL et sur l’utilisation de l’hydrogène ou des biométhanes.

D’après le patron des systèmes de transmission du gaz danois et président du GIE (Gas Infrastructure Europe) Torben Brabo, les ambitions de la Commission sont simplement trop optimistes : les fournisseurs de substitution ne seront pas en mesure de fournir les volumes escomptés à court terme. La rupture d’approvisionnement en gaz russe créera inévitablement des pénuries en Europe. Ces pénuries devront être gérées par un ensemble de mesures défensives comme la limitation de la consommation de certaines parts de l’industrie européenne pour protéger en priorité les foyers, les écoles ou les hôpitaux, et des mesures volontaristes telles que la réduction globale de la consommation d’énergie, l’accélération des investissements dans les infrastructures GNL et des interconnecteurs gaziers pour fluidifier la distribution du gaz dans l’UE.

Le mois d’avril a en effet vu se multiplier les annonces de projets GNL avec notamment l’accord conclu entre l’Estonie et la Finlande sur la création d’un terminal flottant sur le Golfe de Finlande, et la décision d’Athènes de développer son seul terminal existant pour en augmenter la capacité en prévision des disruptions à venir. Les préparatifs en vue d’une fin des importations européennes de gaz russe accélèrent également la construction ou la modernisation des connexions énergétiques en Europe, tels que les interconnecteurs Grèce-Bulgarie prévus pour juin, ou le projet de gazoduc Stork II, longtemps laissé sous cloche, entre la République tchèque et la Pologne.

A ce stade, l’Union européenne et les États membres travaillent donc davantage à anticiper le risque d’une rupture des approvisionnements en gaz qu’à des sanctions radicales dans ce domaine. 

Politiquement, les dirigeants européens – à l’exception de la Hongrie – se sont accordés sur l’idée qu’il était désormais urgent et indispensable de cesser de payer quotidiennement à la Russie 450 millions de dollars pour les produits pétroliers, 400 millions de dollars pour le gaz, et 25 millions pour le charbon (selon les estimations de Bruegel, cité par Euractiv). Les divergences demeurent toutefois sur deux points : la manière et le délai pour mettre fin aux livraisons d’hydrocarbures.

Pour les maximalistes (Pologne, États baltes), il est impératif d’arrêter purement et simplement l’importation de gaz russe dans l’UE. Pour les autres, une sortie progressive – bien que rapide – de la dépendance au gaz russe s’impose pour éviter de plonger l’Europe, Allemagne en tête, dans une crise économique sans précédent.

Dans les deux cas, les capitales comme les institutions européennes ajustent déjà leurs mécanismes d’amortissement des chocs, accélèrent la diversification des sources d’énergie (charbon, énergies renouvelable) et des fournisseurs (essentiellement le Golfe persique, l’Azerbaïdjan et l’Algérie, malgré des tensions importantes avec l’Espagne à propos des réexportations vers le Maroc).

En frappant le pétrole, artère vitale de l’économie russe, et en brisant la colonne vertébrale de l’interdépendance euro-russe, le sixième paquet de sanctions franchirait déjà une étape décisive des pressions européennes sur la Russie. Il contribuerait à l’objectif d’assécher le financement de la machine de guerre russe pour éviter, aussi, l’extension du conflit aux portes de l’Union.

Vu le choc attendu sur les marchés et le risque démesuré pour certains États membres (Hongrie, Slovaquie), l’adoption de ce sixième paquet fait face à des résistances importantes. Pour avancer coûte que coûte et faire sauter les verrous nationaux, la Commission envisage d’accorder à Budapest et Bratislava une exemption ou une période de transition prolongée.

2. Le soutien à l’Ukraine

Le 1er avril, la présidente du Parlement européen fut la première cheffe d’une institution européenne à se rendre à Kiev depuis le début de la guerre. Le 8 avril, Ursula Von der Leyen et Josep Borrell, accompagnés des dirigeants polonais, tchèque et slovaque, se sont à leur tour rendus sur place.

A cette occasion, les leaders européens se sont accordés sur la nécessité d’intensifier les efforts à trois niveaux au moins, à défaut d’avoir pu offrir au président ukrainien les sanctions énergétiques qu’il espérait. A cet égard, la Présidente et le Vice-Président de la Commission ont réaffirmé leur détermination à hâter les sanctions sur les hydrocarbures en convoquant à cet effet un nouveau Conseil Affaires étrangères en vue d’un sixième paquet de sanctions.

Premièrement, le chef de la diplomatie européenne a affirmé sa conviction que cette guerre devait se gagner « sur le champ de bataille », et qu’il espérait convaincre les États membres d’allouer davantage de fonds au titre de la facilité européenne pour la paix. Deuxièmement, l’UE, « convaincue » de la responsabilité russe dans les crimes de guerre commis en Ukraine, a promis d’intensifier son soutien pour la collecte des preuves en impliquant la mission d’assistance de l’UE en Ukraine (@EUAM_Ukraine) et de coordonner les efforts avec la Cour pénale Internationale.

Troisièmement, la Présidente de la Commission a formalisé l’invitation faite à l’Ukraine de rejoindre sa « famille européenne » en transmettant  le formulaire de demande d’adhésion à l’Union.

2.1. Les livraisons d’armes

Pour rappel, l’Union européenne avait déjà alloué, en février et mars derniers, deux tranches de 500 millions d’euros au titre de la « facilité européenne pour la paix ». Face au regroupement des forces russes sur l’Est en vue d’une offensive majeure, les autorités ukrainiennes ont renouvelé et augmenté leurs demandes d’artillerie et de tanks, une requête à laquelle les Européens – en plus des Américains et des Britanniques – ont été plus sensibles après le retrait russe de la région du nord et les découvertes qui y ont été faites. Le 15 avril, le Conseil a donc alloué une troisième tranche de 500 millions d’euros. Les armes promises incluent des équipements de protection, du matériel médical, des carburants et des armes. En outre, le 26 avril, une quarantaine de délégations nationales se sont retrouvées sur la base militaire américaine de Rammstein en Allemagne pour coordonner l’envoi de matériel militaire à l’Ukraine. Comme le souligne Euractiv, cette réunion s’apparente à une coalition militaire « indirecte » dans la mesure où les partenaires sont convenus de tenir des consultations similaires chaque mois pour répondre efficacement aux demandes des autorités ukrainiennes. Pour en savoir davantage sur la nature et la hauteur des engagements militaires des États membres de l’UE, voir la synthèse mise en ligne le 30 avril sur le site d’Euractiv.

Les autorités russes ont réagi avec virulence à l’annonce des nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine : par la voix de ses ambassadeurs, de ses porte-parole, et par le président russe lui-même qui a rappelé, le 27 avril, que le Kremlin disposait d’armes uniques qu’il n’hésiterait pas à utiliser :

« If anyone intends to intervene from the outside and create a strategic threat to Russia that is unacceptable to us, they should know that our retaliatory strikes will be lightning-fast. We have the tools we need for this, the likes of which no one else can claim at this point. We will not just brag; we will use them if necessary. And I want everyone to know this; we have made all the decisions on this matter ».
Vladimir Poutine, 27 avril 2022

2.2. Le soutien judiciaire

L’Ukraine poursuit toutes les voies juridictionnelles pour obtenir la condamnation de la Russie – ce que d’aucuns désignent sous le terme de « lawfare ». Le 26 février, l’Ukraine a introduit un recours devant la Cour Internationale de Justice au sujet de la qualification de génocide afin d’établir premièrement que « l’intervention de la Fédération de Russie à l’encontre de l’Ukraine et sur le territoire de celle-ci visant à prévenir et réprimer un soi-disant génocide est dépourvue de tout fondement juridique» et, deuxièmement, que la Fédération de Russie planifie des actes de génocide en Ukraine.

Par ailleurs, le 28 février, l’Ukraine a également déposé une requête contre la Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), au motif de « violations massives des droits de l’homme commises par les troupes russes au cours de l’agression militaire contre le territoire souverain de l’Ukraine ». L’Ukraine a demandé à la Cour de prendre des mesures provisoires, c’est-à-dire des « mesures urgentes qui ne s’appliquent que lorsqu’il existe un risque imminent de préjudice irréparable ». La Cour a répondu le lendemain en demandant à la Russie de « s’abstenir de lancer des attaques militaires contre les personnes civiles et les biens de caractère civil (…) et à assurer immédiatement la sécurité des établissements de santé, du personnel médical et des véhicules de secours sur le territoire attaqué ou assiégé par les soldats russes. ». Cette mesure apparaît essentiellement symbolique, car rien n’oblige la Russie à exécuter les mesures provisoires de la Cour, et ce d’autant moins que la Russie a entamé, le 15 mars, sa procédure de retrait du Conseil de l’Europe. 

L’Ukraine et ses partenaires internationaux collaborent à la constitution des dossiers de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.

Depuis le début de l’offensive, et en accord avec les autorités ukrainiennes, l’UE a mis en alerte ses autorités policières et judiciaires (Europol, Eurojust) pour documenter les crimes de guerre perpétrés en territoire ukrainien. Pour la première fois, l’agence européenne Eurojust coordonnera les travaux d’enquête sur les crimes commis en Ukraine, tel que l’y avait invité le Conseil Justice (et Affaires intérieures) lors de sa réunion du 4 mars 2022. Toutefois, les mandats spécifiques des deux agences doivent encore être précisés, les modus operandi sécurisés et la répartition des tâches entre elles doit être clarifiée. Comme l’indique la proposition de la Commission (25 avril), les mandats d’Europol et d’Eurojust pour la collecte, l’inventaire, le stockage et la transmission des informations exigent une base juridique adaptée à la situation du terrain. Par ailleurs, le 25 avril, le parquet de la Cour Pénale internationale (CPI) a rejoint l’équipe d’investigation (Joint Investigation Team -JIT) mise en place le 25 mars par l’Ukraine, la Pologne et la Lituanie. Le travail de la CPI et des États partenaires est primordial car il est susceptible d’influencer le devenir du droit international. En effet, à ce jour, le droit international reconnaît quatre types de crimes internationaux : les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le crime de génocide et le crime d’agression. La Cour pénale Internationale est compétente pour les trois premiers, mais pas pour le dernier. Les juristes débattent donc âprement de la possibilité et des modalités de mise en place d’un tribunal spécial qui viendrait compléter la juridiction de la CPI sur la question du crime d’agression. 

2.3. L’adhésion de l’Ukraine à l’UE

Le 8 avril, la présidente de la Commission a remis à Volodymyr Zelensky le questionnaire qui marque le début de la procédure d’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Préjugeant de la célérité de ses services, la présidente de l’exécutif européen annonçait à cette occasion que le formulaire serait traité « en l’espace de quelques semaines et non, comme à l’accoutumée, en quelques années ». Le formulaire dûment rempli par les autorités ukrainiennes ayant été transmis à Bruxelles le 17 avril, et la Commission s’apprête à rendre un avis (positif) qui devrait déjà se trouver sur la table du Conseil européen du mois de juin. La fantomatique « fast-track » évoquée par les autorités ukrainiennes semble donc bien enclenchée, puisqu’il faut rappeler que les avis de la Commission sur l’octroi du statut de candidat à l’adhésion prennent d’ordinaire plusieurs années. Dans le même mouvement, rappelons également que la Moldavie et la Géorgie ont saisi le train en marche, en rendant leurs formulaires (reçus le 11 avril) respectivement le 22 avril et le 2 mai.

La rapidité des premières étapes laisse présager mais ne garantit pas, à ce stade, un traitement plus expéditif de la procédure d’adhésion elle-même : bien que relativement souple, cette procédure ne pourrait que difficilement faire l’économie des fameux critères de Copenhague adoptés en 1993. Comme le rappelle Pierre Mirel, ancien Directeur à la Commission européenne 2001-2013 (DG Elargissement), le consensus au sein de l’UE fait « largement défaut sur des sujets sensibles » et le risque est grand d’affaiblir encore l’UE en la confrontant à un sujet aussi clivant. Le message devrait aussi être soigneusement calibré par rapport aux Balkans occidentaux, « auxquels l’adhésion a été promise il y a vingt ans, [et qui ne sont] toujours pas membres ».  La réaction prudente, pour ne pas dire méfiante, du Premier Ministres néerlandais sur ce dossier laisse entrevoir l’âpreté des débats à venir entre les vingt-sept.

2.4. L’aide aux personnes réfugiées et déplacées

Début avril, les agences européennes comptaient que près de 4 millions de personnes avaient fui l’Ukraine, principalement par la Pologne (2,5 millions), la Roumanie (850 000), la Hongrie (360 000), la Slovaquie (300 000). Comme le relève le New York Times, le flot de réfugiés ukrainiens a dépassé le nombre de réfugiés venus de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak en Europe en 2015, un afflux qui avait déstabilisé la politique européenne. Fin avril, le nombre de réfugiés a atteint près de 5 millions, dont plus de 430 000 personnes via la frontière moldave (cf. le point sur la libéralisation des transports routiers).  La coordination est assurée par le Mécanisme de protection civile de l’UE, qui coordonne les centres logistiques en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie ainsi que les stocks d’assistance.

L’enjeu crucial pour la machinerie de l’UE dans cette matière, réside dans l’amélioration constante de la plateforme d’enregistrement des réfugiés et de mise en commun des données d’accueil des États membres. Annoncée par les ministres de l’Intérieur le 28 mars, cette plateforme est toujours suspendue à un accord sur la protection des données digitales.

Les aides matérielles continuent par ailleurs à affluer : la campagne et la conférence mondiale des donateurs « Agir pour l’Ukraine » a permis de lever 9,1 milliards d’euros. Selon les informations partagées par la Commission, « 4,1 milliards d’euros sont des contributions financières et des dons en nature en faveur des personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine et des réfugiés, promis par des gouvernements, des entreprises et des particuliers du monde entier, et 5 milliards d’euros sont des prêts et des subventions accordés par des institutions financières publiques européennes (la Banque européenne d’investissement et la Banque de développement du Conseil de l’Europe) ».

Une nouvelle campagne est annoncée pour le début du mois de mai.

3. La coordination internationale

3.1. La facilitation du commerce UE-Ukraine

Le 27 avril, l’UE a emboîté le pas à la décision britannique de lever les droits d’importation sur tous les produits ukrainiens (dans le cas européen, pour une durée d’un an).  Cette décision importante rappelle, par contraste, celle qui avait été adoptée en mars dernier par le G7 (et une dizaine de partenaires) de retirer à la Russie son statut de nation la plus favorisée dans le cadre de l’OMC. Ainsi, comme le résume le Commissaire lituanien Virginijus Sinkevičius, « nous savons maintenant à qui il ne faut plus acheter de biens. Il est temps maintenant d’aider nos amis en achetant chez eux ».

Parallèlement, la Commission européenne propose l’ouverture de négociations sur la libéralisation du transport routier entre l’Ukraine, la Moldavie et l’UE. Cette mesure viserait à désengorger les exportations maritimes contraintes par le blocage des ports de la Mer Noire, à faciliter l’exportation de denrées alimentaires, et à soutenir économiquement ces deux pays.

3.2. L’exclusion de la Russie du Conseil des Droits de l’Homme

Parmi les efforts consentis par l’UE pour rallier la communauté internationale à la condamnation de la guerre en Ukraine, il convient de noter l’événement historique – mais également symbolique – du vote de l’Assemblée générale des Nations Unies en faveur de l’exclusion de la Russie du Conseil des Droits de l’Homme (7 avril) quelques jours après la révélation des massacres de Butcha. La Russie est, après la Libye en 2011, le deuxième État à avoir été exclu de cet organe des Nations Unies.

3.3. UE-Inde. Une alliance commerciale « à revers » ?

En avril, la Commission a également redoublé d’efforts auprès des partenaires chinois mais surtout indien. En visite à New Delhi le 25 avril, Ursula Von der Leyen a formalisé la conclusion d’un accord commercial et technologique avec son partenaire asiatique. Cette visite s’est déroulée quelques semaines seulement après la visite du ministre Lavrov qui était venu y négocier des fournitures de pétrole. Grand consommateur d’énergies et d’armements russes, l’Inde est restée en retrait des condamnations internationales dans le conflit ukrainien et continue de coopérer avec Moscou dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai qui regroupe également la Chine, le Pakistan et plusieurs États d’Asie centrale autour de coopérations dans le domaine de la sécurité, du renseignement et du commerce.

3.4. L’enjeu crucial de la sécurité alimentaire

La guerre en Ukraine entraine des conséquence dévastatrices en termes de sécurité alimentaire sur le plan mondial, à la fois pour l’accès aux matières premières et pour la volatilité de leurs prix. Certains sont allés jusqu’à suggérer que la Russie pourrait instrumentaliser la crise alimentaire en Afrique et eu Moyen-Orient pour déclencher de nouvelles crises migratoires afin de déstabiliser davantage l’UE. Pour juguler ce risque, l’UE a enclenché plusieurs types de mécanismes, telles que l’octroi d’aides financières aux agriculteurs européens pour augmenter leur production (500 millions €) et une aide de 2,4 milliards d’euros aux pays à risque de pénurie alimentaire (2022-2024). En termes de communication, la Russie et l’UE se livrent également une guerre des narratifs, en s’accusant mutuellement de la responsabilité de la crise alimentaire à venir. Pour l’UE, il est donc vital de gagner cette bataille médiatique en convainquant que ce ne sont pas les sanctions européennes qui créent la pénurie, mais bien la guerre menée par Moscou sur les terres fertiles de l’Ukraine.

4. Dans le reste de l’actualité

4.1. Le risque d’extension du conflit à la Moldavie

La situation en Moldavie reste extrêmement préoccupante. Le 22 avril, le commandant-adjoint du district militaire central de la Fédération de Russie évoquait l’opportunité pour la Russie de contrôler le sud de l’Ukraine et son accès à la Transnistrie. Quelques jours plus tard, des explosions détruisaient des bâtiments et des infrastructures à Tiraspol, ouvrant la voie aux craintes sur une déstabilisation imminente du pays.

4.2. Les réseaux russes et russophiles en Europe

Au cours de la séance plénière du 6 avril, le Parlement européen s’est penché sur les réseaux pro-russes en son sein et au sein de la société européenne. Les débats ont mis en lumière les liens entre le régime russe et les mouvements d’extrême droite ou les mouvements séparatistes – chaque parti ou chaque représentant national pointant alors du doigt son ennemi traditionnel, avec un accent spécifique pour les parlementaires du centre ou de la gauche française à la veille du duel Macron-Le Pen. Le débat apparaît polarisé à l’extrême,  non pas sur le spectre gauche-droite, mais le long d’une ligne de fracture qui départage les « visionnaires » de la méfiance et les anciens partisans de l’apaisement ou, pire, de l’alliance avec Moscou. Cette préoccupation, qui consiste à contrôler les relais de Moscou dans les capitales européennes, a mené à une série d’expulsions de diplomates au cours du mois d’avril. Ainsi, la Pologne a expulsé 45 fonctionnaires russes, Berlin, 40, Paris, 35, Bruxelles, 21, l’Union européenne, 19, la Grèce, 12, etc. Ces mesures ont été suivies de représailles symétriques de la part de la Russie.

4.3. Une initiative singulière : la visite du chancelier autrichien à Moscou

Au lendemain de sa visite à Kiev le 10 avril, le chancelier autrichien Karl Nehammer a été le premier chef d’État européen à se rendre à Moscou pour y rencontrer Vladimir Poutine. En tant qu’État neutre, a rappelé le chancelier, l’Autriche reste attachée à l’idée de servir de  « pont » entre la Russie et l’Europe, un exercice d’équilibrisme impossible au plus fort des tensions, quelques jours seulement après les révélations de Bucha. Le chancelier a déclaré que l’objet de sa visite était de « dire la vérité » au président russe et d’obtenir certaines garanties humanitaires. La visite, partiellement coordonnée avec l’UE, mais nullement mandatée par elle, s’est soldée par un échec : elle a été davantage comparée à un ersatz de pacte Von Ribbentrop-Molotov qu’à un effort utile de médiation. Le caractère jugé inapproprié de cette initiative isole le Chancelier en politique intérieure comme au niveau européen et pourrait aller jusqu’à mettre en péril l’exercice de sa fonction.

Dossiers à suivre
  • L’adoption du 6ème paquet de sanctions et la réaction russe ;
  • L’escalade verbale et militaire à la suite des nouvelles livraisons d’armes de la « coalition indirecte » ;
  • La propagation du conflit à la Moldavie ;
  • La rumeur d’un référendum sur l’annexion des territoires occupés, qui donnerait du sens aux balbutiements du directeur des renseignement extérieurs russes, le 21 février, et ouvrirait la voie à un nouveau cas de non-reconnaissance des territoires annexés par la Russie.
  • Le positionnement de l’Inde, intensément courtisée par la Russie et par l’UE.
  • La situation politique et sociale en Géorgie, dont les positions ambigües à l’égard du Kremlin entraine une détérioration rapide des relations avec l’Ukraine.
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