Le Green Deal européen :
résonances russes
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Le Pacte vert pour l’Europe – proposé par la Commission en 2019 – vise à faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Europe à un niveau net de zéro d’ici 2050. Cette initiative climatique s’est heurtée à une résistance farouche de la part des pays dépendants du charbon. Varsovie, avec son secteur énergétique dominé par cette énergie fossile, est jusqu’à présent le seul pays européen à ne pas avoir officiellement approuvé l’objectif de neutralité climatique de l’UE pour 2050. La centrale au charbon polonaise de Bełchatów (qui couvre 20 % de la demande d’électricité du pays) est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre de l’UE. Néanmoins, la pression politique exercée par Bruxelles ainsi que l’aide financière de l’UE vont progressivement « verdir » la politique énergétique de Varsovie. Un compromis conclu par les dirigeants européens en décembre 2020 pour débloquer le paquet budgétaire de l’UE a permis d’allouer 56 milliards d’euros à la transition verte de la Pologne pour 2021-27. Plus tôt, en septembre 2020, Varsovie avait mis à jour la politique énergétique de la Pologne jusqu’en 2040 afin de réduire drastiquement l’utilisation du charbon pour la production d’électricité.
L’UE veut imposer une taxe carbone sur toutes les importations à forte intensité énergétique et la Commission a déjà annoncé la création d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Il s’agit de créer des conditions équitables pour les producteurs européens et étrangers et de réduire le risque de fuite de carbone. Selon la définition de la Commission, la fuite de carbone désigne « une situation dans laquelle une entreprise, pour échapper aux coûts liés aux politiques climatiques, déplace sa production dans un autres pays appliquant des règles moins strictes en matière de limitation des émissions, risquant ainsi d’augmenter ses émissions totales ».
L’UE est le plus grand partenaire commercial de la Russie et l’empreinte carbone de ses exportations vers l’UE (principalement de l’énergie, de l’acier et des engrais) est la deuxième après celle de la Chine qui est estimée à 150-200 millions de tonnes d’équivalent CO2. Selon les estimations publiées par KPMG en juillet 2020, en 2022-2030, le MACF de l’UE pourrait coûter aux exportateurs russes – selon le scénario – entre 6 et 50,6 milliards d’euros. D’autres calculs effectués par BCG évaluent le coût pour les exportateurs russes entre 3 et 4,8 milliards de dollars américains par an. Il ne fait aucun doute que le mécanisme MACF de l’UE ne sera pas bien accueilli à Moscou. Il s’agit d’un « protectionnisme caché sous un prétexte plausible » qui empêchera l’accès des marchandises russes au marché européen, a déclaré le chef adjoint du Conseil de sécurité et ancien premier ministre russe Dmitri Medvedev. La réaction de Moscou dépendra toutefois de la mise en œuvre pratique du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. L’introduction d’une taxe sur le carbone – clairement considérée comme une mesure protectionniste en vertu des règles de l’OMC – offrira à Moscou l’opportunité de contester juridiquement ces mesures. Toutefois, la Commission européenne a déjà confirmé que le mécanisme MACF sera conçu de manière à prendre pleinement en compte les règles de l’OMC et les autres obligations internationales de l’UE. Il est donc probable que le mécanisme MACF de l’UE sera une continuation du système européen d’échange de quotas d’émission (ETS). Selon Pascal Canfin – un député français à la tête de la commission environnement du Parlement européen (ENVI) – procéder ainsi rendra l’adoption plus facile (une majorité qualifiée est nécessaire, tandis qu’une taxe devrait être approuvée à l’unanimité) et réduira également le risque d’être rejetée par l’OMC au titre de mesure protectionniste.
Dans ce contexte, la réponse du gouvernement russe et des entreprises privées devra être plus complexe et nuancée. Les politiques climatiques de l’UE ont encore polarisé le débat en Russie sur le modèle qui conviendrait au pays. Certains experts proposent de facto de copier les politiques de l’UE, indépendamment du fait qu’elles soient économiquement réalisables, efficaces et adaptées au marché russe. D’autres s’interrogent sur la nécessité pour la Russie de développer sa propre politique climatique. La conférence UE-Russie sur le climat de décembre 2020 a reflété ces différentes approches de la politique climatique de la Russie, et tant le secteur privé que le gouvernement commencent à prendre cette question au sérieux. En janvier 2021, la vice-première ministre Viktoria Abramchenko a approuvé un programme pilote d’échange de droits d’émission de carbone pour Sakhaline, une importante province pétrolière et gazière. Grâce à ce programme, Sakhaline devrait devenir une région neutre en carbone d’ici 2025. Plus tôt, en octobre 2020, le gouvernement russe a adopté une feuille de route pour l’hydrogène – un gaz neutre en carbone et promis à un bel avenir dans les transports, la production d’électricité et le chauffage – qui prévoit de nouvelles mesures d’incitation pour les consommateurs et les exportateurs d’hydrogène à partir de 2021. L’hydrogène est important pour l’économie russe en raison de son potentiel de réduction de l’intensité carbone de l’économie nationale et de l’impact négatif du MACF de l’UE.
Gazprom, parmi d’autres entreprises énergétiques russes, a également adopté des objectifs à moyen et long terme pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En outre, Gazprom et Rosatom devraient lancer des usines de production d’hydrogène d’ici 2024 et la compagnie nucléaire russe prévoit de produire des trains à hydrogène après 2024. La transition écologique de l’économie russe est inévitable, mais elle sera progressive et conditionnée par une mise en œuvre adéquate des réglementations gouvernementales. La gestion du carbone imposera des contraintes considérables en termes de politiques d’exportation et constituera vraisemblablement une source supplémentaire d’imprévisibilité et de tensions dans les relations entre Bruxelles et Moscou.
Liens
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— ECFR (@ecfr) February 3, 2021