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Recension

Loïc Simonet *

Les pipelines en droit international et dans les relations internationales

Paris, A. Pédone, avril 2021

L’ouvrage publié par Loïc Simonet en avril 2021, intitulé « Les pipelines en droit international et dans les relations internationales » constitue à ce jour l’ouvrage de référence sur la matière en langue française.

Ici, pas de tropisme politique ni d’imprécision glissée sous le tapis pour escamoter les difficultés, mais un travail extrêmement minutieux, de ceux qui se lisent plusieurs fois, et à divers niveaux. Le lecteur peut, à la hâte, s’y rafraîchir la mémoire sur un dossier d’actualité énergétique – de l’Afrique de l’Ouest à l’Afghanistan en passant bien entendu par l’Eurasie – ou au contraire plonger dans les abysses d’une zone d’ombre du droit international. Droit international, nous rappelle l’auteur d’entrée de jeu, qui connait une singularité significative puisqu’il ne fournit aucun régime juridique cohérent pour les pipelines terrestresalors que leurs équivalents sous-marins sont rigoureusement encadrés par le droit de la mer.

Le lecteur profane se laissera entraîner par la plume expérimentée du chercheur-praticien. Et si d’aventure il s’égare sur le tracé des infrastructures, le répertoire des principaux gazoducs et oléoducs proposé en annexe lui permet de reprendre pied. C’est donc sans trop de crainte qu’on aborde le premier chapitre consacré aux enjeux géopolitiques du transport de l’énergie et de la compétition entre les acteurs. On y retrouve, en guise de marchepied, les forces profondes de la géographie et celles, concurrentes, des puissances (USA, Russie, UE) dans la distribution et l’exploitation des hydrocarbures.

L’étude s’attache ensuite à identifier les facteurs qui déterminent le tracé des réseaux sur le plan juridique, politique, social ou écologique. Évoquant les droits de transit, l’auteur rappelle qu’à l’origine, le droit international excluait les redevances pour le transit des hydrocarbures (en tant que rente de situation) et précisait que seules des prestations réelles liées à l’administration ou à la sécurité des voies de transport pourraient justifier des prélèvements financiers (p.113). En plongeant dans l’histoire du transit en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, Loïc Simonet exhume les raisons qui ont poussé les compagnies à abandonner progressivement ces régimes de libre transit pour admettre certains mécanismes d’indemnisation fondés sur la longueur des canalisations et les quantités d’hydrocarbures transportées. Les tensions actuelles sur l’Ukraine et les pertes financières encourues par Kiev en raison du contournement de son territoire rend d’autant plus pertinente la connaissance profonde de l’évolution de ces pratiques.

C’est d’ailleurs dans le prolongement de cette question que l’auteur s’attache, au chapitre 5, à analyser la difficulté supplémentaire que représente le transit à travers des régions en conflit ou dans un contexte de menace terroriste. Dès lors que les infrastructures sont mises en péril, la responsabilité juridique des États constitue un premier domaine de recherche (et de débat), tandis que d’autres portes s’ouvrent sur le rôle possible de forces multilatérales des Nations unies en tant qu’agents de la sécurité de certains pipelines. Pour l’OTAN, la question se pose plus directement encore, puisque les pays de l’OTAN qui représentent environ 40% de la consommation mondiale de pétrole, intègrent la sécurité énergétique dans une conception toujours plus large de la mission globale de l’Alliance dont un comité spécifique (le NPC) gère par ailleurs une infrastructure propre d’oléoducs et d’espaces de stockage pour assurer la sécurité de l’approvisionnement militaire (p.183). La sécurisation, et donc la militarisation des voies de transit des hydrocarbures fait l’objet d’une attention toujours renouvelée, que ce soit au sujet des gazoducs Nord Stream dans la Baltique ou dans l’Arctique.

En juriste industrieux, Loïc Simonet creuse les articles et la jurisprudence du Traité de la Charte de l’énergie pour en identifier les forces et les faiblesses, et y déceler surtout les pistes qui permettraient de codifier, structurer et donc apaiser les litiges liés au transport et au commerce de l’énergie.

Le chapitre 8 parachève la réflexion sur l’interaction entre le maillage énergétique et l’intégration économique, en interrogeant le postulat libéral selon lequel l’interdépendance économique est porteuse d’une « mystique d’unité et de paix » (p.229), ou à tout le moins « vecteur de partenariat »[1] autant que de prospérité. Portant le regard sur l’UE en particulier, l’auteur revient aux sources de l’intégration des marchés énergétiques dans les années 1990, lorsque les « réseaux transeuropéens » (RTE-E) étaient appelés à accentuer la cohésion interne de l’Union et la sécurité d’approvisionnement des régions les plus isolées. Cet objectif se précise en 2005 grâce à la création de la Communauté de l’énergie et se renforce juridiquement, à partir de 2009, au travers des stratégies et des paquets législatifs successifs en vue d’une Union de l’énergie ébauchée en 2015.

Dans cet ouvrage, le droit européen fait donc aboutir une réflexion entamée au niveau du droit international. Si le droit international n’aura finalement réussi qu’à « effleurer la question du transit de l’énergie par pipeline », l’UE apparaît comme le laboratoire d’une législation internationale tant elle concentre les complexités politiques et économiques du commerce de l’énergie tout en cherchant, sans relâche, à lui fournir un cadre juridique cohérent.

Loïc Simonet est docteur en droit (Paris 1 – Panthéon-Sorbonne), chercheur à l’Institut autrichien des affaires internationales (Österreichisches Institut für Internationale Politik, OIIP, Vienne) et en disponibilité du ministère des Armées. Il est l’auteur de nombreux articles sur la géopolitique et le droit international de l’énergie et sur le contrôle des armements, ainsi que de deux ouvrages parus aux éditions Pedone (« Le traité sur le commerce des armes », 2015, 220 p., et « Les pipelines en droit international et dans les relations internationales », 2021, 359 p). Il prépare actuellement un ouvrage sur les murs-frontières.

[1]      La notion de vecteur – d’influence politique, de prospérité économique, de partenariat, mais aussi de crispations et de conflit – charpente la préface de l’ouvrage par le Vice-Président de la Commission européenne pour les relations interinstitutionnelles, Maroš Šefčovič.

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