Le site de la Chaire d’études Europe-Russie de l’UCLouvain

Revue de l’actualité euro-russe
1-30 juin 2022

Abstract

Entre le 3 et le 23 juin, l’Union a façonné deux compromis importants – l’un, sur le sixième paquet de sanctions et l’autre, sur les conditions d’une adhésion future de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie. Dans ce même intervalle, elle a subi l’effet revers de ses propres sanctions et la diminution des approvisionnements en gaz qui frappe l’espace européen de Copenhague à Syracuse. A travers la tourmente, l’Union a toutefois réussi à renforcer ses capacités réelles en termes humanitaires, économiques et judiciaires. Recentrage, renforcement et résilience s’imposent en ce début de présidence tchèque comme des priorités vitales pour maintenir une présence utile aux côtés de l’Ukraine.

1. Le bras de fer euro-russe

Au lendemain du sixième paquet de sanctions, début juin, toutes les capitales – ou presque – s’accordent sur la nécessité maintenir la pression sur Moscou. C’est sur la méthode que les opinions divergent. Comme nous le détaillions dans le précédent rapport, certaines capitales appellent sans relâche à adopter de nouvelles sanctions, en particulier sur le gaz. Mais la plupart des autres États veulent désormais colmater les mesures existantes pour leur permettre de déployer tous leurs effets. Vu l’abondance des sanctions édictées depuis février, et celle des sommets prévus en fin de mois (Conseil européen, Sommet de l’OTAN et Sommet du G7) le camp du « recentrage » et de l’approfondissement l’emporte.

Plusieurs évolutions politiques, juridiques et institutionnelles témoignent de ce recentrage :

(1) la création d’unités chargées d’assurer la mise en œuvre des sanctions,
(2) le travail de réforme légal pour intégrer les violations de sanctions dans la liste des « eurocrimes » afin de faciliter la confiscation des biens gelés
(3) la réflexion sur la manière d’atteindre les objectifs de l’embargo sur le pétrole et
(4) l’application rigoriste des mesures sectorielles par la Lituanie, qui attise la tension autour du corridor de Suwałki.
D’autre part, le Kremlin accentue sa pression sur l’Europe au moyen de l’arme énergétique et, chose nouvelle, d’une première nationalisation des actifs laissés en jachère par les firmes occidentales (5).

1.1. Des moyens institutionnels contre le contournement des sanctions

Au fur et à mesure de l’adoption des sanctions, les gouvernements et les institutions européennes ont mis en place des structures ad hoc afin de gérer le tsunami de conséquences que ces mesures allaient entraîner – sur les flux de capitaux, sur la circulation des biens, sur la gestion des entreprises, etc.

Depuis la fin février, chaque État a mis en place des structures sui generis pour la coordination des sanctions : en France, c’est une unité (créée en mars) sous l’autorité du ministère des Finances qui dirige les opérations, en coordination avec les Affaires étrangères, l’Intérieur et la Justice. En Italie, un comité réunissant les délégués de quinze instances gouvernementales travaille sous l’autorité du ministère de l’Économie et des Finances. En Allemagne et en Belgique, les structures fédérales entraînent des montages plus complexes sous l’autorité des ministères fédéraux de l’Économie et des Finances. 

Au niveau européen, le groupe de travail « Freeze and Seize » placé sous l’autorité du Commissaire à la Justice (Didier Reynders) a tenu sa première réunion le 11 mars. Sa mission, nous rappelle le rapport Blok, est « d’analyser dans quelle mesure le gel des avoirs au titre de la législation nationale sur les sanctions peut mener à la confiscation en vertu du droit pénal ». En juin, la Commission européenne a renforcé le groupe « Freeze and Seize » en lui adjoignant une unité spécifique sur le contrôle fiscal. Cette unité est chargée d’identifier la délinquance fiscale, de recouvrer les taxes en facilitant l’application des sanctions européennes, de contrôler les dossiers fiscaux des personnes et des entités sanctionnées et de partager les informations collectées avec les institutions et les États membres (Agence Europe, 8 juin). 

La Commission (Mairead McGuinness, Commissaire en charge des services financiers) a déclaré qu’elle envisageait de créer une version européenne du « Office of Foreign Assets Control (Ofac) », l’agence du Trésor américain en charge de la mise en œuvre et du contrôle des sanctions. Depuis 2019, l’Union cherche à se donner davantage de moyens pour lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent et la criminalité financière : en juillet 2021, la Commission a proposé de créer à cet effet une nouvelle « Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » capable, entre autres tâches, de contrôler directement les institutions financières européennes et de coordonner leurs actions. L’avalanche de sanctions adoptées depuis février 2022 a exacerbé le besoin de coordination et de supervision, qui pourraient être confiées à cette autorité européenne sur laquelle le Conseil a rendu un avis (partiel) le 29 juin 2022. Dans ce domaine comme dans d’autres, on constate donc que c’est en renforçant ses capacités institutionnelles et ses compétences intérieures que l’Union affirme son action extérieure. C’est également le cas au niveau juridique, dans le domaine de l’harmonisation du droit pénal de l’Union.

Les Pays-Bas occupent une place déterminante puisque c’est par le port de Rotterdam que pénètre la plus importante part du commerce maritime en Europe. L’ancien ministre néerlandais de l’économie et du climat, Stef Blok, a été nommé début avril coordonnateur national pour les sanctions : son premier rapport, publié le 2 juin, met en évidence une série de défis et de recommandations qui illustrent les enjeux auxquels font face les États membres.  

Parmi les défis, le rapport souligne que les sanctions sont non seulement d’une ampleur inédite, mais qu’elles sont également appelées à perdurer.  

Il s’agit donc pour le gouvernement d’organiser structurellement les interactions entre les différents ministères et agences impliquées dans la traque des biens et actifs sous sanctions. En termes de recommandations, le coordonnateur national appelle notamment l’UE à adopter des règles claires, une communication (plus) rapide et (plus) efficace pour les sanctions sectorielles vu la responsabilité néerlandaise, proportionnelle à l’importance du port, d’inspecter le chargement des navires et d’intercepter les biens sous embargo.

1.2. Du gel à la confiscation des avoirs : le contournement de sanctions comme Eurocrime

Pour passer du gel des avoirs à leur confiscation (en vue d’alimenter le fonds de reconstruction de l’Ukraine, voir notre édition de mai 2022), les États membres de l’UE doivent pouvoir s’appuyer sur une condamnation, qui, seule, permet de priver la personne physique ou morale de son droit de propriété.

Les charges qui peuvent éventuellement être retenues contre les personnes ou entités russes sont celles que les droits nationaux connaissent déjà (corruption, blanchiment, …) qui impliquent un tout autre type d’instruction et ne sont pas nécessairement liées au contexte de la guerre. Pour plus de cohérence et d’efficacité, les États membres devraient idéalement pouvoir poursuivre une même infraction sur le territoire de l’Union, en l’occurrence, celle qui consiste à contourner les mesures restrictives décidées par le Conseil. Or, comme le détaille la communication de la Commission, qui s’appuie d’ailleurs sur le rapport du groupe génocide de l’agence Eurojust daté de décembre 2021, les États membres n’attribuent pas tous le même degré de gravité à cette infraction. Dans 12 États membres, la violation des sanctions est une infraction pénale. Dans 13 autres États membres, elle peut être qualifiée d’infraction administrative ou pénale selon les cas. Dans deux pays, la violation des mesures restrictives de l’UE ne peut actuellement donner lieu qu’à des sanctions administratives. Il en découle qu’au sein des Vingt-Sept, les peines d’emprisonnement et les amendes vont de 0 à 12 ans d’emprisonnement, et de 1 200 € à 37 500 000 € selon que l’infraction relève du droit administratif ou du droit pénal, et selon que les systèmes prévoient ou non la responsabilité pénale des personnes morales pour ce type d’infraction.

L’objectif de la Commission est donc de défragmenter l’espace pénal européen sur la question spécifique du contournement de sanctions pour « accélérer l’identification, le traçage, le gel et la confiscation des avoirs générés par les activités criminelles avant que leurs auteurs ne puissent déplacer les fonds ou dissimuler leur origine criminelle » (Paul Hastings LLP, 17 juin 2022).

C’est dans ce but que la Commission et le Haut Représentant ont proposé le 25 mai d’ajouter la violation des sanctions à la liste des infractions européennes (les « eurocrimes ») afin d’établir une base juridique commune pour les poursuites judiciaires, en coordination avec les États-Unis (cf. l’agenda de la réunion ministérielle UE-USA sur la Justice et les Affaires intérieures, le 23 juin). Ce dossier constitue une priorité, comme en attestent les conclusions du Conseil européen de juin (pt.5).

1.3. Atteindre les objectifs de l’embargo pétrolier

« What on earth are you doing ? ». C’est la question qu’a posé l’ancien patron du géant pétrolier Yukos et ancien détenu, Mikhail Khodorkovski, lors de sa première visite à Bruxelles le 21 juin. L’homme d’affaires a dénoncé, dans une interview à lire dans Politico, l’embargo sur le pétrole adopté début juin. En adoptant cette sanction, l’UE a grevé le budget européen, et non le russe : elle a creusé un trou de centaines de millions d’euros et s’est placée en situation de dépendance et donc de faiblesse face aux nouveaux fournisseurs (USA, Golfe, Afrique du Nord, Australie). Le contraire de ce qu’il eût fallu faire, selon le magnat russe.

How much has the West lost in revenue by introducing all kinds of energy sanctions? $100 billion, $200 billion? […] Had Ukraine got at least $50 billion worth of weapons instead of $10 billion, the situation would be completely different now — without any energy sanctions being introduced.
M. Khodorkovski cité dans Politico, 21 juin 2022 

On peut effectivement s’interroger sur le choix de certains États et de la Commission européenne de pousser ce dossier malgré les réticences de nombreuses capitales. L’argument central des partisans de cette option réside dans l’indécence des montants versés quotidiennement à la Russie pour son pétrole (450 millions €/jour). Mais sachant que le pétrole pouvait aisément être réexporté par Moscou, et que les mesures n’auraient pas d’effet immédiat sur les décisions du Kremlin, l’Union aurait-elle dû continuer à jouer le jeu pour maintenir son économie à flot, et ainsi mieux aider l’Ukraine ? Le débat n’est pas clos.

A la suite de ces turbulences, les experts et les dirigeants continuent à explorer les alternatives et les mesures disponibles pour atténuer les effets secondaires de cette décision.

Premièrement, la question des assurances. Comme l’ont signalé des experts, le seul moyen de freiner la distribution du pétrole russe dans le monde serait d’exclure la Russie des marchés d’assurances pour le commerce maritime. En effet, les tankers ne peuvent emprunter certaines voies (le canal de Suez, par exemple) ou accoster dans les ports que moyennant une assurance en règle. L’interdiction d’assurer les tankers russes serait donc un moyen transversal de faire appliquer les sanctions au niveau global et d’éviter que Moscou ne réoriente tout simplement ses invendus européens vers d’autres marchés.

Pour l’Union, le sixième paquet de sanctions interdit déjà « l’assurance et la réassurance du transport maritime de ces marchandises à destination de pays tiers », sauf exceptions et moyennant des périodes de transition appropriées. Mais comme le souligne le Financial Times, la principale place d’assurance se situe en dehors de l’Union, à la Lloyds of London. 

Cette option soulève évidemment une série de problèmes pratiques, dont la liste ne saurait être exhaustive, mais dont certains donnent une idée de la difficulté d’une telle décision. Par exemple, comment établir avec certitude l’origine (russe) du contenu des vaisseaux ? Les tankers russes transportent par exemple le pétrole kazakh qui n’est aucunement visé par les sanctions. Certains experts envisagent ensuite la possibilité pour la Russie de se rabattre sur ses assureurs nationaux (et la réassurance de l’État), qui pourraient suffire à alimenter certains marchés comme le marché indien : il faut dès lors évaluer le ratio coût-bénéfices d’une déstabilisation du commerce maritime par rapport à l’impact réel sur le budget militaire russe. Car la déstabilisation du commerce mondial inquiète l’ensemble des acteurs : selon De Standaard, de nombreux assureurs ont anticipé le risque en refusant ou en interrompant les contrats sur les pétroliers, ce qui cause déjà une forme d’une instabilité sur les marchés des assurances maritimes, et, de là, sur le commerce mondial.

La décision adoptée le 3 juin prévoit l’arrêt de l’importation du pétrole brut et des produits pétroliers russes par voie maritime. Cet embargo entrera en vigueur le 5 décembre 2022 pour le pétrole brut et le 5 février 2023 pour les produits pétroliers, sauf pour trois pays qui ont bénéficient de délais de grâce en raison d’une dépendance spécifique à certains produits : 18 mois pour la République tchèque, 24 mois pour la Bulgarie, et jusqu’à la fin 2023 pour la Croatie. En outre, rappelons que le commerce du pétrole par oléoduc n’est pas visé par l’embargo, étant entendu que la réexportation de ce pétrole est interdite. La Pologne et l’Allemagne se sont engagées à mettre fin totalement à l’importation de pétrole pour la fin de l’année 2022.

Le second correctif, lié au premier, est celui du price cap, c’est-à-dire un prix plafond que les acheteurs accepteraient de payer pour le pétrole russe. Une idée mise à l’agenda du G7 (26-28 juin, Allemagne) par le trésor américain et par l’équipe de Mario Draghi, mais dont la mise en œuvre apparaît d’emblée d’une complexité abyssale…En préambule, il faut souligner que l’idée révèle un constat d’échec : le price cap, rappelle le New York Times, n’est envisagé que parce la Russie continue d’engranger des revenus élevés malgré les sanctions. Selon les informations de Rystad Energy, citées dans The Guardian, ces revenus s’élèvent en 2022 à 184 milliards de dollars, un sursaut de 45% par rapport à l’an dernier, et de 181% par rapport à l’année 2020. De l’autre côté, la raréfaction et le renchérissement du pétrole dans l’Union européenne entraîne la région dans une spirale inflationniste.
L’objectif des leaders du G7 doit donc être de limiter l’impact économique pour l’Europe tout en réduisant les marges du gain côté russe : « Moscow gets less cash, willing buyers still get cheap crude, and the overall global oil supply doesn’t shrink, meaning energy prices don’t spike » (Politico). Un excellent programme, sur papier, mais comment faire ?
En principe, si les pays consommateurs d’hydrocarbures russes (le débat s’étend au gaz) concluaient un accord pour ne pas les acheter au-delà d’un certain prix, le marché pourrait être maintenu sous contrôle. Cela suppose toutefois une forme de connivence avec les pays exportateurs de pétrole (OPEP+) … à laquelle la Russie est partie prenante. Autre option, qui nous ramène au premier correctif, les gouvernements occidentaux pourraient exercer une pression sur les assureurs pour les obliger à ne couvrir que les livraisons dont le prix d’achat correspond à ce tarif maximal. The Guardian voit là plusieurs risques, dont celui de rouvrir le sixième paquet de sanctions, donc les négociations, au sein des 27.

De ceci découle une série de constats intermédiaires. Premièrement, le paquet de sanctions sur le pétrole, avec ses compromis et ses failles, apparaît comme un signal politique adressé à Moscou et au monde. Il ne permet pas d’atteindre l’objectif annoncé par Ursula von der Leyen le 4 mai dernier, de « maximiser la pression sur la Russie tout en minimisant l’impact sur nos économies ». Deuxièmement, cette phase actuelle de colmatage des imperfections est plus complexe, plus technique et donc plus discrète que la phase des déclarations politiques. Après les postures martiales vient le temps de l’ajustement technique, et ce temps est appelé à se prolonger sur la longue durée – et probablement à l’abri des feux de l’actualité.

1.4. Kaliningrad, talon d’Achille des embargos européens

Les mesures sectorielles sur l’importation de l’acier et d’autres métaux russes, adoptées le 15 mars 2022 dans le cadre du quatrième paquet de sanctions, est entré en vigueur le 17 juin. Dès cet instant, la Lituanie a interrompu le passage des trains de marchandises à destination de Kaliningrad, pour en inspecter les cargaisons et bloquer l’accès des biens sous embargo sur le territoire de l’Union. Simple conformité aux décisions européennes, répète Vilnius, mais dans une zone de la plus grande vulnérabilité. 
Les autorités russes ont réagi immédiatement et très énergiquement car la communication sans entrave entre Moscou et Kaliningrad constitue, depuis 2002, un point focal pour le Kremlin. Outre les postures fermes, voire martiales du gouverneur de la région de Kaliningrad, du Secrétaire Général du Conseil de Sécurité et du ministère des Affaires étrangères russes, c’est le discours de Vladimir Poutine sur le rôle historique de Pierre le Grand qui résonne dans cette crise. Rappelons en effet que le 9 juin, le président russe avait loué, devant un parterre de jeunes entrepreneurs, le rôle du tsar civilisateur en insistant sur le devoir « reconquérir pour renforcer » les provinces historiques de la Russie. Or, la veille même de cette intervention, un député de Russie Unie avait jugé opportun d’introduire un projet de loi sur l’illégitimité de la reconnaissance de la restauration de l’indépendance lituanienne en 1991 par l’URSS. En cas d’adoption, précise le commentaire, cette loi permettrait de contester « l’appartenance de la Lituanie à l’OTAN ». Le Kremlin s’est distancié de l’initiative parlementaire.

Pour en revenir à l’affaire du transit, c’est entre la Lituanie et ses partenaires européens que le débat s’est poursuivi. La Commission semble ouverte à l’idée d’un corridor de transport pour les biens russes vers l’enclave de Kaliningrad, mais Vilnius s’y oppose. Le 27 juin, l’ancien président russe, Dmitri Medvedev a mis en garde contre les entraves au transit, menaçant de « couper l’oxygène » aux États baltes. Pour lui, tout tentative de déconnecter Kaliningrad de la Fédération de Russie équivaut à une déclaration de guerre. Deux jours plus tard, le chancelier Scholz intervient pour tenter de convaincre les Lituaniens de laisser transiter les chargements dans la mesure où ceux-ci ne sont pas destinés à entrer dans l’UE mais seulement à traverser son territoire. Fin juin, tandis que le sommet de l’OTAN s’achève, la Commission veut croire au compromis, mais Vilnius campe sur ses positions et la crise se prolonge – fort heureusement sur le terrain diplomatique. 

Quelle que soit son issue, cette crise laissera inévitablement une marque. Car vu la géographie européenne et la polarisation croissante des positions, ce type de situations, d’une dangerosité sans précédent, sera inévitablement amenée à se répéter. Raison pour laquelle, notamment, les États baltes cherchent à se prémunir de toute dépendance à l’égard de Moscou en s’affranchissant du gaz, du pétrole et du réseau électrique russe. Cependant, quand bien même les États baltes devenaient totalement insensibles aux pressions énergétiques russes, il reste que la tension militaire, alimentée surtout par l’adhésion imminente de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, ne fait que croître dans la région baltique. 

1.5. La guerre économique, côté russe

Depuis le début de la guerre, la Russie est restée relativement peu active en termes de sanctions et de contre-mesures. Certes, elle a répliqué plus ou moins symétriquement aux sanctions occidentales, en appliquant essentiellement des mesures d’interdiction de séjour en Russie ou en expulsant des diplomates. Ce n’est qu’au mois de mai que Vladimir Poutine a entrepris de défricher le terreau législatif en vue de l’adoption de sanctions plus substantielles. Mais c’est au mois de juin que les décisions semblent prises : dans le domaine du gaz, et sur le terrain de la nationalisation des entreprises laissées en jachère.

Dans la précédente édition de la revue d’actualité, nous évoquions le débat sur d’éventuelles sanctions gazières. De nombreux décideurs européens avaient alors balayé l’idée de s’engager sur cette voie, mais déjà, l’hypothèse que la Russie prenne cette décision à leur place apparaissait en filigrane. De fait, le 14 juin, l’Allemagne a pour la première fois été privée d’une part substantielle du gaz russe acheminé par Nord Stream.

L’argument invoqué par Gazprom, et confirmé par Siemens, est d’ordre technique : les sanctions canadiennes empêchent de rapatrier la turbine d’un compresseur qui se trouve au Canada, contraignant Gazprom à réduire le flux de 40%.

Une simple contrariété technique ? Peut-être, mais sans conviction, car les pays affectés sont de plus en plus nombreux (que ce soit par une réduction directe des approvisionnements ou par un effet en cascade depuis l’Allemagne) : l’Italie (ENI, -15%), l’Autriche (OMV,-50%), la France, la République tchèque et la Slovaquie sont désormais concernés.

Pour conclure (en laissant le soin aux spécialistes de dresser l’inventaire chiffré des ruptures d’approvisionnement en gaz ces dernières semaines), il suffit sans doute de rappeler que le 21 juin, le chef de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, a alerté l’Europe sur le risque d’une rupture totale du gaz russe cet hiver. Pour lui, la stratégie russe est désormais claire, et consiste à empêcher l’Union de remplir ses stocks en automne afin de pouvoir exercer une pression maximale en hiver. Pour Robert Habeck, Ministre allemand de l’Economie, il s’agit là d’une véritable guerre économique, « rationnelle et limpide ». Ajoutons que la stratégie russe est forcément payante (sans être nécessairement gagnante), car elle met la solidarité européenne à l’épreuve (les États les mieux lotis réexporteront-ils les volumes de gaz convenus avant la crise ?), accentue la pression sur l’économie des pays inamicaux, et donc sur la stabilité de leurs gouvernements, et oblige les européens à se parjurer en recourant massivement au charbon, à rebours de leurs ambitions climatiques.

À la fin juin, dix États membres avaient déjà activé le mécanisme d’alerte précoce prévu par le règlement sur la sécurité de l’approvisionnement qui prévoit trois niveaux de gravité : l’alerte précoce, l’alerte et l’urgence, avec, pour chacun d’eux, des droits et des devoirs pour l’État qui le déclare. Le 23 juin l’Allemagne a déclaré l’état d’alerte (niveau 2 sur 3). Le 11 juillet, le gazoduc Nord Stream sera mis en pause pour l’entretien annuel classique, qui doit durer une semaine… mais dont beaucoup redoutent qu’il ne se relève pas.

Dans un autre registre, le 30 juin, Vladimir Poutine a transféré par décret les droits sur l’exploitation gazière de Sakhaline-2, en Extrême-Orient, à une nouvelle structure russe. Le projet, qui était exploité depuis des décennies par un consortium alliant Shell et deux investisseurs japonais, a fait l’objet de cette toute première «nationalisation» depuis le départ des entreprises étrangères de Russie. En pratique, les investisseurs étrangers disposent d’un mois pour confirmer leur participation à la nouvelle structure (détenue à 50,1% par Gazprom) ou, à défaut, perdre leurs droits. Il s’agit donc une semi-nationalisation (avec option) mais elle est cardinale car elle marque un tournant dans la contre-offensive économique russe. Tokyo a déjà annoncé son intention d’intégrer le nouveau schéma. Si l’opération revêt un caractère unique pour l’instant, il ne faut pas exclure que l’expérience se répète sur d’autres actifs laissés en jachère par les occidentaux.

En conclusion, dans le bras de fer euro-russe, l’Europe et les États-Unis ont déployé une énergie considérable à atteindre le consensus politique pour l’adoption de sanctions, puis à en ériger les contreforts institutionnels, juridiques et techniques. Moscou, pour sa part, n’a eu « qu’à » diminuer les livraisons de gaz pour mettre les 27 en état d’alerte. Certes, les sanctions européennes sont appelées à durer, et leurs effets pourraient s’intensifier avec le temps. Mais c’est de temps qu’il est question, car la victoire est ici affaire de vitesse, et l’hiver – comme toujours dans les histoires russes – jouera un rôle majeur.

2. Le soutien à l’Ukraine

2.1. L’aide judiciaire

L’équipe commune d’enquête (ECE, en anglais Joint investigation team, JIT) est une structure qui permet la coopération judiciaire entre l’UE (représentée par au moins deux États membres) et un ou plusieurs États tiers, afin de systématiser, donc de faciliter, la coopération transfrontalière. Ces équipes sont constituées de magistrats et de représentants des forces de l’ordre. L’équipe commune d’enquête pour l’Ukraine avait été formée le 25 mars par l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie, rejointes par la Cour Pénale Internationale. Le 31 mai, la Slovaquie, la Lettonie et l’Estonie ont rejoint l’équipe. Avec des moyens renforcés et un cadre légal désormais adapté (les réformes sont entrées en vigueur le 1er juin), Eurojust peut désormais poursuivre sa mission de collecte, de stockage et de partage des preuves relatives aux crimes de guerre commis sur le territoire ukrainien en soutien (économique, technique et logistique) à l’ECE-Ukraine.

En juin, c’est la dimension technique du travail juridique qui occupe le Conseil : il s’agit de mettre en place une plateforme informatique spécifique afin de centraliser et surtout de sécuriser l’échange d’information dans un contexte de risque sans précédent. En effet, les ECE travaillent en général selon les modalités et les moyens disponibles, mais il n’existe pas de canal de communication spécifique. Compte tenu des risques d’infiltration, l’objectif du législateur européen est de créer un système sécurisé auquel les autorités judiciaires et répressives des membres de l’équipe commune d’enquête peuvent se connecter.

La machine judiciaire se construit donc en temps réel en intensifiant les efforts financiers, en édifiant les contreforts juridiques, en mobilisant de nouvelles compétences techniques. La réalité de terrain façonne l’ordre juridique et la réalité institutionnelle de l’Union.

2.2. L’adhésion du trio d’association à l’UE

Comme annoncé, le Conseil européen des 23-24 juin s’est prononcé sur la question de l’adhésion future de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie à l’Union européenne. Il s’est fallu moins de deux mois, depuis le dépôt des formulaires d’adhésion, pour que l’Union européenne parvienne à cette décision. Comment l’Union, d’ordinaire si frileuse à ouvrir ce type de débats, et si lente à les structurer, est-elle parvenue à dégager un tel consensus ? Et que faut-il espérer dans les prochains mois ? Europe.Russie.Debats a consulté les praticiens pour en extraire les éléments saillants.

Le consensus sur les candidatures : une naissance au forceps

A l’approche du Conseil européen de mai 2022, certains dirigeants d’États membres avaient exprimé le plus grand scepticisme à l’égard de l’octroi d’un statut de candidat à l’Ukraine. Pour le Premier Ministre néerlandais, Mark Rutte, l’hypothèse d’un tel statut apparaissait improbable en raison de l’opposition de nombreuses capitales et de la réaction prévisible des États des Balkans occidentaux. Son homologue italien, Mario Draghi, déclarait lui aussi que l’idée d’octroyer le statut de candidat à l’Ukraine n’avait recueilli l’approbation d’aucun des grands États de l’UE, sauf le sien. En effet, outre la France et l’Allemagne, la Belgique, le Portugal et le Danemark avaient exprimé de fortes réticences sur l’octroi d’un statut de candidat à l’Ukraine. Ces gouvernements privilégiaient une approche de type réaliste basée sur deux arguments. Premièrement, il s’agit d’éviter de donner de faux espoirs à l’Ukraine car le processus est long et incertain, et la déception, demain, serait plus redoutable qu’une position mesurée aujourd’hui. Deuxièmement, l’Union doit se concentrer sur l’aide immédiate et tangible plutôt que de se lancer dans des débats juridiques et institutionnels.

Pendant ce temps, la rédaction des trois avis de la Commission (un par État) avance promptement sous la baguette de sa Présidente qui manœuvre personnellement le dossier. Les services de l’exécutif européen disposent d’un temps extrêmement limité pour coordonner leurs positions sur les divers aspects (politique, acquis communautaire, économique, etc.). L’objectif est évidemment de passer tous les gués administratifs pour transmettre les avis in extremis avant le Conseil européen de juin. Notons que la chorégraphie de cette semaine inclut aussi une visite éclair d’Ursula von der Leyen à Kiev, le 11 juin, pour coordonner la communication et envisager l’avenir – la reconstruction – avec les équipes de Zelenski.

C’est autour du 14-15 juin que les violons européens s’accordent (de manière inattendue) sur la question de l’élargissement. S’agissant d’Olaf Scholz et d’Emmanuel Macron, la motivation réside probablement dans l’urgence d’éviter un « procès en russophilie », de se ranger du bon côté de l’histoire, alors même qu’ils pêchent par leur volonté d’amener l’Ukraine à une paix rapide. Le 16 juin, la visite d’Emmanuel Macron et d’Olaf Scholz à Kiev aux côtés de Mario Draghi et de Klaus Iohannis scelle leur engagement. La date semble également bien choisie pour se présenter, in extremis, comme la locomotive de tête de la décision politique avant la remise de l’avis de la Commission, le lendemain. Les hésitants n’ont désormais d’autre choix que de rallier les rangs de la majorité.

Le 17 juin, la Commission présente l’avis très attendu sur l’octroi du statut de candidat des trois pays (Géorgie, Moldavie, Ukraine) pour préparer la décision des chefs d’État et de gouvernement la semaine suivante. Les termes sont choisis : pour l’Ukraine et la Moldavie, la Commission préconise un statut de candidat, « étant entendu que des mesures doivent être prises dans un certain nombre de domaines ». Pour la Géorgie, par contre, le statut de candidat ne devrait être accordé qu’« une fois qu’un certain nombre de priorités auront été traitées ».

Le phrasé est important, puisqu’il met en scène une forme de conditionnalité positive et performative pour l’Ukraine et la Moldavie (« étant entendu que »), mais laisse planer le doute sur les réformes en Géorgie (« une fois que »). Kiev obtient donc un statut de primus inter pares, mais n’obtient pas la fast track espérée (le statut de candidat sans conditions). Dans son avis, la Commission semble en effet tenir pour acquis que l’Ukraine procèdera à une série de réformes en matière de justice (dans la logique des tensions récentes avec la Pologne), de lutte contre la corruption (dans le prolongement du rapport de la Cour de Comptes du 23 septembre 2021), de contrôle de l’oligarchie, de protection des minorités ou encore d’indépendance des media.

L’affaire étant entendue, le Conseil européen apparaît serein pour proclamer la perspective européenne du trio et l’octroi du statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie.

Entre les lignes, les prochaines étapes

Les conclusions du Conseil européen rappellent que « la progression de chaque pays sur la voie de l’Union européenne dépendra de ses mérites propres pour ce qui est de se conformer aux critères de Copenhague, la capacité de l’UE à intégrer de nouveaux membres étant prise en considération ». La progression vers l’adhésion comporte donc deux volets : les mérites du candidat, et la capacité de l’UE à l’intégrer. Un élément sous le contrôle du candidat, l’autre non. Que peut-on lire en filigrane ?

Sur le mérite des candidats, a priori, pas de mystère : l’adhésion se rapproche à mesure que les réformes sont introduites. D’abord, les réformes « entendues », sur lesquelles la Commission s’est engagée à faire rapport pour la fin 2022. Ensuite, les critères de Copenhague (critère politique, critère économique et acquis communautaire) pour permettre l’ouverture des négociations, sur lesquels les appréciations risquent d’ouvrir de nouveaux débats. C’est donc le « début d’un très long processus » (P. Mirel in Alternatives économiques, 5 juillet 2022). Quant à la Géorgie, le chemin est encore plus ardu. En effet, Emmanuel Macron, en déplacement à Chisinau le 15 juin, justifie la différence de traitement entre les pays d’Europe orientale et la république caucasienne par le fait que la Géorgie se trouve dans une situation géopolitique « différente ». Ce « critère », si on peut le désigner comme tel, semble relativement immuable, et on voit mal ce que Tbilissi pourrait faire pour estomper cette différence. C’est contre cette fatalité que plusieurs dizaines de milliers de Géorgiens sont descendus fin juin dans les rues de leur capitale pour exprimer leur volonté de rapprochement avec l’Union, en dépit d’une géographie contrariante.

Le deuxième volet de l’adhésion réside dans la capacité de l’UE à intégrer les candidats (retenu, depuis 2006, comme un quatrième critère aux côtés du critère politique, du critère économique et de l’acquis communautaire). Ceci fait écho au débat ancien et ravivé par la Conférence sur l’avenir de l’Europe sur l’éventuelle révision des traités pour renforcer la capacité d’action de l’UE, a fortiori lorsque celle-ci comptera plus de trente membres.

En effet, l’intégration de l’Ukraine et de la Moldavie déplacerait le centre de gravité de l’Union vers l’axe mer Baltique-mer Noire, entraînant avec lui les priorités stratégiques du bloc. Sur le plan institutionnel, l’Ukraine obtiendrait par son poids démographique une délégation importante au Parlement européen, et bénéficierait d’une influence substantielle dans les décisions à la majorité qualifiée du Conseil, où l’élément démographique entre en ligne de compte. Les récents blocages hongrois lors du Conseil européen de mai et le conflit avec la Pologne sur la taxation des bénéfices des multinationales soulèvent des inquiétudes légitimes quant à la praticabilité d’une politique étrangère, fiscale ou judiciaire fondée sur le principe de l’unanimité.

Sur le plan économique, aussi, l’Europe s’apprête à vivre un tournant historique. Comme le rappelle Politico, une adhésion à l’horizon de 10 ou 15 ans semble lointaine pour les observateurs, mais pas pour les instances budgétaires qui planifient des cycles de 7 ans. En termes de politique agricole commune, par exemple, l’intégration d’une Ukraine majoritairement agraire (et par ailleurs dévastée) représente un défi immense. De même pour les fonds structurels destinés à aider les régions les plus précarisées : l’Ukraine, avec un PIB par habitant inférieur à 4000 € /an (avant la guerre), serait de loin le pays le plus pauvre de l’Europe et engloutirait les fonds structurels s’ils n’étaient pas remaniés.

L’évocation de cette « capacité de l’Union » à intégrer l’Ukraine, la Moldavie et peut-être la Géorgie n’est donc pas une formule creuse. Elle pose, au contraire, des questions fondamentales que les décideurs d’aujourd’hui lègueront à leurs successeurs.

 

2.3. L’aide économique et humanitaire

Au terme de trois mois d’annonces sensationnelles sur les montants des aides allouées à l’Ukraine, qui restent valides, le mois de juin semble avoir été davantage consacré à la mise en œuvre de l’aide et aux mesures pratiques. Les besoins humanitaires de l’Ukraine et de la Moldavie ont atteint un niveau dramatique, notamment au sein des villes dévastées ou des populations déplacées à l’intérieure de l’Ukraine. Le 9 juin, la Commission, par la voix du Commissaire Lenarčič, a annoncé l’octroi d’une aide matérielle d’urgence de 205 millions d’euros, à distribuer via les organismes humanitaires sur le terrain. Ceci porte à 700 millions d’euros le montant de l’aide humanitaire apportée par l’UE à l’Ukraine depuis le 24 février.

De manière plus structurelle, la suspension temporaire (un an) des taxes et quotas sur les importations depuis l’Ukraine est entrée en vigueur le 4 juin. Davantage que l’aide, cette mesure doit permettre de réorienter le commerce ukrainien vers les partenaires européens et de maintenir l’économie ukrainienne en vie. Le même jour, la Commission a lancé une plateforme pour rapprocher les entreprises européennes et ukrainiennes (matchmaking platform), en particulier dans le domaine du transport terrestre des produits agro-alimentaires – en vue de leur exportation.

Conclusion

Tandis que les forces russes progressent sur le territoire ukrainien, les alliés occidentaux semblent divisés sur l’objectif de leur engagement. Faut-il aider l’Ukraine à gagner la guerre, ou faut-il avant tout empêcher la Russie de la gagner ? Le Royaume Uni, la Pologne, les pays baltes et bien entendu l’Ukraine défendent la première option, tandis que d’autres – France, Allemagne en tête – poursuivent le second objectif, tout en convenant qu’il appartient à l’Ukraine, et à l’Ukraine seule, de décider. Or, comme le souligne l’éditorialiste du Financial Times, ces objectifs impliquent des décisions radicalement différentes en termes militaires. Gagner la guerre signifie repousser la Russie dans ses frontières d’avant février 2022, voire d’avant mars 2014. Ne pas laisser la Russie gagner, c’est l’empêcher de conquérir un territoire plus vaste, et l’amener à négocier un compromis – le cas échéant, en « évitant de l’humilier ».

En l’espace de vingt jours, entre le 3 et le 23 juin, l’Union a façonné deux compromis historiques – l’un, sur le sixième paquet de sanctions et l’autre, sur les conditions d’une adhésion future du Trio d’Association. Dans ce même intervalle, elle subit l’effet revers de ses propres sanctions et s’est apprêtée à affronter l’arrêt des approvisionnements en gaz qui touche presque simultanément l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la France la république tchèque et la Slovaquie. Enfin, deux rendez-vous importants concluent le mois de juin : le sommet du G7, qui examine notamment les moyens de renforcer les sanctions sur le pétrole, et le Sommet de l’OTAN, qui aboutit à la signature des protocoles d’accord pour l’adhésion de la Finlande et de la Suède et au retour de la défense contre la menace russe.

Entre ces rendez-vous, l’action de l’Union oscille entre deux pôles. D’un côté, elle se recentre et renforce ses capacités réelles en termes humanitaires, économiques et judiciaires. D’un autre, certaines de ses décisions les plus complexes – l’embargo sur le pétrole russe, l’octroi du statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie– entrainent des conséquences à long terme sans pour autant faire dévier le cours de la guerre. Ces choix répondent certes à la demande de l’Ukraine, ce qui peut suffire à les justifier, mais ils visent également à apaiser les consciences. Caustique, la porte-parole des Affaires étrangères russes raille la bureaucratie européenne qui produit des éléments de langage destinés à projeter une « image holographique » de la puissance.

La présidence tchèque qui débute le 1 juillet semble bien consciente de ce danger. La résilience et le renforcement des capacités de l’Union dominent quatre des cinq priorités de son programme : la gestion de la crise des réfugiés et reconstruction de l’Ukraine dans l’après-guerre, la sécurité énergétique, les capacités de défense de l’Europe et la sécurité du cyberespace, la résilience stratégique de l’économie européenne et la résilience des institutions démocratiques.

Le mois de juin a donc été riche de leçons. Sachant qu’il ne peut y avoir de victoire militaire sans combat, ni de paix sans négociation, mais que les deux options sont hors d’atteinte, quel objectif l’Union doit-elle poursuivre ? Il semble plus urgent que jamais de définir précisément l’objectif poursuivi, en évitant la dispersion. Pour l’heure, l’Europe n’a d’autre choix que de renforcer ses capacités pour demeurer aux côtés de l’Ukraine ; et, surtout, de renoncer aux postures d’une puissance « holographique ».

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