Dans la guerre déclenchée par l’invasion de l’Ukraine, la bataille se mène sur tous les fronts – y compris sur le front judiciaire. Outre les enquêtes menées par la justice ukrainienne, trois procédures ont été introduites devant la Cour internationale de justice (CIJ), et de nombreuses violations des droits humains ont été portées devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dès le 2 mars 2022, Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), annonce l’ouverture une enquête sur de possibles « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », après avoir reçu le feu vert de 39 états. Les procédures judiciaires ne sont néanmoins pas l’apanage des juridictions supranationales. Les juridictions pénales de quatorze États membres de l’UE ont entamé des enquêtes distinctes reposant sur la compétence personnelle ou universelle. Malgré le déploiement de cet impressionnant arsenal judiciaire, l’idée de la création d’un tribunal spécial est rapidement mise sur la table. Les obstacles juridiques et politiques s’accumulent, mais l’UE semble déterminée à trouver la voie d’une justice pénale internationale adaptée aux défis du temps. Quels sont les arguments en jeu, les débats en cours et comment, en l’absence de consensus, les Etats européens s’efforcent-ils de baliser le chemin de la lutte contre l’impunité?
Les massacres perpétrés dans la région de Kiev, révélés le 1er avril à la faveur du désengagement russe, ont déclenché des réponses fermes de la part de l’UE à divers niveaux : au niveau de la coercition économique, au niveau de la lutte contre l’impunité, au niveau du soutien à l’Ukraine, mais également, dans une vision plus globale, au niveau de la résilience de l’Union. Le mois d’avril apparaît rétrospectivement comme un mois de transition entre deux trains de sanctions : celui du 8 avril, qui amorce l’offensive européenne sur les énergies, et celui de début mai, qui vise le cœur – mais pas encore l’écosystème – de la rente pétrolière russe.
Sous le tumulte des menaces réciproques et des bruits de guerre, Europe.Russie.Debats examine les moyens mobilisés par l’UE – et par certains de ses membres – pour éviter l’affrontement militaire. On y décèle notamment le travail de la Présidence du Conseil en tandem avec la nouvelle coalition allemande pour ressusciter le Format Normandie, et le travail toujours discret de la Commission pour aiguiser la résilience de l’Europe et ses moyens de coercition. Plus en retrait de l’actualité, la passe d’armes entre Vilnius et Pékin, et le dossier de l’exportation du potasse biélorusse creusent des sillons profonds dans l’ambition géopolitique de l’Europe.
Fidèle à sa ligne éditoriale, Europe.Russie.Débats continue à scruter la presse et les publications académiques pour éclairer les aspects que le show business géopolitique laisse dans l’ombre. A bien y regarder, l’actualité de l’Union européenne, que beaucoup jugent périphérique à l’heure du duel Russie-USA, livre d’importantes évolutions : on signalera entre autres le repositionnement et les fissures du gouvernement allemand sur la Russie, le débat sur les sanctions (et leurs double tranchants), la question du soutien militaire de l’UE à l’Ukraine au lendemain des mesures adoptées contre les sociétés militaires privées (Wagner), ou encore le nouvel instrument anti-coercition de l’UE en soutien, notamment, à la Lituanie.
La lettre d’information de ce mois s’intitule « Russie-Occident: bas les masques? » en référence au délitement des mécanismes de dialogue ou de coopération hérités de l’après-guerre froide. La fermeture des missions diplomatiques OTAN/Russie, conjuguée au tarissement des mesures de confiance au sein de l’OSCE, donne le ton d’une relation UE-Russie atteinte, elle aussi, par le syndrome du désengagement.
Pourtant, de la crise du gaz aux enjeux du voisinage oriental (Belarus, Ukraine, Moldavie) en passant par le Prix Sakharov décerné à Alexei Navalny, les relations UE-Russie ont affiché, ce mois-ci, une intensité considérable.